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qui ai renvoyé. Je vais me coucher, car il a bien fallu me lever. Bonsoir. Vous êtes bien aimable, et, sans une profonde expérience, il serait impossible de ne pas se laisser entraîner ; tant de soins, tant de chaleur, si bien le ton et les expressions du sentiment, et tout cela employé, mon Dieu, pour qui ? pour une créature que la mort a enfin exaucée. Pourquoi donc voudriez-vous me rendre inconséquente comme le Bûcheron ? Hélas ! il ne manquerait plus, pour compléter mon horrible destinée, que d’aller me mettre à regretter ce que je ne puis plus contenir ou retenir. Adieu, mon ami ; de vos nouvelles.



LETTRE CLXXII

Onze heures, 1776.

Pourquoi me supposez-vous animée d’un sentiment affreux ? Voyez mieux : en aurais-je la force, quand même j’en aurais la disposition ? et puis il faudrait autant de manque de délicatesse que de maladresse, pour laisser percer du ressentiment lorsque je suis arrivée au point où je n’ai plus besoin de défense ni de vengeance. Mon ami, je meurs : cela satisfait à tout, cela remplit tout. Mais savez-vous ce qu’il faut faire de l’effroyable sentiment que vous me supposez ? un calmant pour le vôtre, auquel mon danger a donné un moment de vigueur : il faut vous refroidir, vous endurcir, fuir une malheureuse créature qui ne répand plus que la tristesse et l’effroi ; enfin il faut vous amener à la disposition où, lorsque l’événement