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vous disiez l’autre jour, qu’on écrivait longuement à ses amis, aux gens qui plaisaient, à ceux avec qui on voudrait causer. Si vous disiez vrai, vous êtes donc obligé, non pas à me lire avec intérêt, mais avec indulgence. Je viens de relire cette longue lettre ; mon Dieu ! que je la trouve ennuyeuse ! mais je recommencerais, que cela ne vaudrait pas mieux. Je me sens en fonds pour ennuyer de plus d’une manière : je suis triste et morte ; voyez ce que l’on peut faire de cela ; mais j’ai des questions à vous faire ; répondez-y, et vous serez bien aimable. Avez-vous eu cette lettre de Diderot ? Il prétend qu’il part le 6 de juin ; ainsi vous le verrez en Russie. Pourquoi n’êtes-vous pas parti mercredi ? Est-ce à quelqu’un ou à vous que vous avez accordé ces vingt quatre heures ? Avez-vous emporté le livre de M. Thomas ? je le voudrais : cette lecture aurait été presque au ton de votre âme. Il est noble, fort et vertueux ; il y a sans doute quelques défauts ; mais il s’est corrigé de ce qu’il avait d’enflé et d’exagéré dans son style ; il y a trop d’analyse et d’énumération : cela fatigue un peu, surtout lorsqu’il en coûte beaucoup pour se séparer d’un objet qui occupe avec intérêt. J’ai été obligée d’abandonner cette lecture pour quelques jours. C’est le facteur de la poste qui décide deux fois la semaine de toutes les actions de ma vie ; celui d’hier m’a rendu la lecture impossible ; je ne chercherais que la lettre qui m’a manqué, et ce n’est pas la peine de la chercher dans M. Thomas : je ne l’y trouverais point. Vous m’avez promis de vos nouvelles de Strasbourg ; n’êtes-vous pas étonné à présent d’avoir pris l’engagement de m’écrire souvent, n’avez-vous pas du regret de la facilité avec laquelle vous cédez à l’intérêt et à l’empressement qu’on vous montre ? Il est pénible, à