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mes maux, vous m’en ferez trouver la durée insupportable. Je vous connais bien, mon ami, mon agonie sera un mal pour vous ; mais la rapidité de vos idées me répond que vous êtes pour jamais à l’abri des grands malheurs. Eh ! mon Dieu ! tant mieux, j’en bénis le ciel pour vous.

Mais demain, c’est votre jeudi, soyez-y fidèle : je ne sais ce que je dis, ce ne sera que mercredi. Venez donc, mon ami, si vous avez du courage et de la bonté : car il en faut pour soutenir le spectacle de la douleur et du découragement. Bonsoir, je vais me mettre dans mon lit, d’où je devrais ne plus sortir.



LETTRE CLXXI

Mardi, quatre heures, 17 octobre 1775.

Il faut vous écrire ! Mais en vérité, c’est presque me dire il faut monter dans la Lune. Mon ami, j’ai cédé, et mon regret c’est que ce ne soit pas seulement à votre prière : en m’arrachant ce oui, l’on m’a fait fondre en larmes, et vous me le pardonnerez. Mais je n’en reviens pas : pourquoi cet acharnement après ma vie ? Ils me répondent tous que jamais personne n’a si bien aimé que moi. Eh, bon Dieu, ce mérite-là a été payé de trente ans de souffrance, et puis la mort au bout ! Je ne sais si cela encouragera nos dames à plumes. — Je verrai donc Bordeu demain à quatre heures, car c’est le poignard sur la gorge. Ne venez pas à cette heure-là. J’ai vu toute ma liste : ils sont restés trois jusqu’à dix heures et demie, c’est moi