Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que vous en décidiez, je vous rendrai grâce. — Mon ami, avez-vous bien senti la force de ces mots : Et mon plus grand malheur serait de vous refroidir. Vous vouliez diminuer mon tourment, etc. Ah ! ciel ! quel moyen vous employez ! Mais je ne reviens point sur le passé : j’espère que vous ne me tromperez plus ; si je ne suis pas ce que vous aimez le mieux, je verrai du moins dans votre âme la place que vous m’y laissez, et je m’engage à ne jamais prétendre qu’à celle que vous me donnerez. — J’ai encore été ce soir à Orphée ; mais j’y étais avec madame la duchesse de Chatillon : il est vrai que j’aurais bien mauvaise opinion de moi, si je ne l’aimais pas : elle exige si peu, et elle donne tant !


Lundi matin.

Comment mettez-vous en question si vous auriez dû me laisser ignorer que vous aviez la fièvre ? Oh, mon ami ! ce n’est pas moi qu’il faut ménager : je vous aime trop pour ne pas préférer à tout de souffrir avec vous et par vous. Toutes ces gens qui se ménagent ne s’aiment guère ; il y a bien loin entre les sentiments qu’on se commande et ceux qui nous commandent : les premiers sont parfaits et je les abhorre. Si un jour vous deveniez parfait comme madame de B…, comme le froid Grandisson, mon ami, je vous admirerais ; mais je serais radicalement guérie. — Je suis interrompue par madame de Ch.... — Elle me demande d’écrire à la suite de ceci ; je lui offre du papier et de l’encre. Mais ma lettre… — Cela n’est pas possible ! Pardonnez-le moi, mon ami.