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CCXLVI.

Au comte de Mercy.
[1789, 23 octobre.]

Je comptais vous voir hier, Monsieur le comte, avec les ambassadeurs, ce qui fait que j’ai tardé à vous écrire. Je trouve votre lettre à M. de Montmorin et votre marche parfaites et prudentes. Mais voici un détail qui m’est arrivé ce matin par des gens sûrs et bien instruits. Il se répand dans le comité de recherches, à la ville, qu’un ancien gendarme, qui est lié avec vous et vous voit souvent, parle beaucoup et se vante de faire bientôt une autre révolution pour nous tirer d’ici. On doit se servir pour cela des paysans armés des campagnes, et surtout de ceux qui étaient dans les anciennes milices. On soupçonne un M. de Trie[1], qui était député de Normandie et qui est parti, d’être mêlé dans cette affaire. Tous les gens raisonnables ne pensent pas à vous ; même vous n'êtes pas nommé mais voyez s’il est vrai que vous voyez un gendarme, et évitez qu’il tienne ou puisse tenir des propos qui ne pourraient que vous compromettre, et nous aussi. Le seul moyen de nous tirer d’ici est la patience, le temps et une grande confiance qu’il faut leur inspirer. C’est le vrai moyen de détruire nos ennemis et ceux de la nation, puisque c’est par des soupçons et des inquiétudes continuelles qu’on cherche à faire égorger les citoyens les uns les autres. Je n’ai pas le temps de vous dire autre chose mais croyez que l’affaire que je vous mande n’est pas un propos en l’air, et que c’est à bonne intention pour vous et pour moi qu’on m’a avertie. Tâchez de faire taire ou démentir l’homme qui parle avec tant d’indiscrétion. Voici une lettre pour Bruxelles. Je suis bien inquiète du sort de ma sœur[2]. M. de

  1. Michel-Nicolas, comte de Trie, lieutenant-colonel, élu député de la noblesse par le bailliage de Rouen.
  2. L’archiduchesse Marie-Christine, duchesse de Teschen et gouvernante des Pays-Bas.