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toute épreuve, il faut espérer qu’au moins nous parviendrons à détruire l’horrible méfiance qui existait dans toutes les têtes[1], et qui a toujours entraîné dans les abîmes où nous sommes. Vous écrirez à l’Empereur pour moi : je crois qu’il est plus prudent que je ne lui écrive pas dans ce moment, même pour lui mander seulement que je me porte bien. L’Assemblée va venir ici ; mais on dit qu’il y aura à peine six cents députés. Pourvu que ceux qui sont partis calment les provinces[2], au lieu de les animer sur cet événement-ci, car tout est préférable aux horreurs d’une guerre civile !

J’ai été bien aise que vous ayez pu vous sauver de Versailles. Jamais on ne pourra croire ce qui s’y est passé dans les dernières vingt-quatre heures. On aura beau dire, rien ne sera exagéré, et, au contraire, tout sera au-dessous de ce que nous avons vu et éprouvé. Vous ferez bien de ne pas venir de quelque temps ici[3], cela inquiéterait encore. Au reste, je ne peux voir personne chez moi : je n’ai que ma petite chambre en haut. Ma fille couche dans mon cabinet à côté de moi, et mon fils dans ma grand’chambre. Quoique cela soit gênant, j’aime mieux qu’ils

  1. Le 8 octobre, Joseph II écrivait à son frère Léopold : « J’ai reçu votre chère lettre, et j’ai été affligé comme vous de toutes les horreurs qu’on imprime et répand contre la Reine de France ; mais que faire avec des insolents et des fous ? On ne revient pas non plus de l'idée que ma sœur m’a envoyé secrètement des millions, pendant que je ne sais ni le pourquoi ni comment j’aurais pu les demander, ni elle me les faire tenir ; je n’ai jamais vu un sou de la France. » Joseph II und Leopold von Toscana, t. II, p.278.
  2. À la suite des journées d’octobre, un certain nombre de députés et des plus notables, Mounier, Lally-Tolendal, l’évêque de Langres, avaient quitté l’Assemblée et étaient retournés dans leurs provinces. L’Assemblée se transporta à Paris, et y tint sa première séance le 19 octobre, à l’archevêché.
  3. Après la prise de la Bastille, Mercy s’était retiré à Chennevières, commune de Conflans-Sainte-Honorine (Seine-et-Oise), dans une maison de campagne qu’il avait achetée en 1772.