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CCXLIII.

Au comte de Mercy.
[1789, 7 octobre.]

Je me porte bien, soyez tranquille. En oubliant où nous sommes et comment nous y sommes arrivés[1], nous devons être contents du mouvement du peuple, surtout ce matin. J’espère, si le pain ne manque pas[2], que beaucoup, de choses se remettront. Je parle au peuple : milices, poissardes, tous me tendent la main ; je la leur donne. Dans l’intérieur de l’Hôtel de ville, j’ai été personnellement très bien reçue[3]. Le peuple, ce matin, nous demandait de rester. Je leur ai dit de la part du Roi, qui était à côté de moi, qu’il dépendait d’eux que nous restions ; que nous ne demandions pas mieux ; que toute haine devait cesser ; que le moindre sang répandu nous ferait fuir avec horreur. Les plus près m’ont juré que tout était fini. J’ai dit aux poissardes d’aller répéter tout ce que nous venions

  1. On sait comment, le 5 octobre 1789, populace parisienne, bientôt suivie de la garde nationale, envahit Versailles, et comment, le 6, la famille royale dut rentrer à Paris, précédée d’une foule en délire parmi laquelle des brigands portaient au bout de piques les têtes de deux gardes du corps massacrés le matin et qui chantait « Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. »
  2. Une famine trop réelle, mais qui, ces jours là, eut certainement quelque chose de factice, avait servi de prétexte au départ des femmes de Paris pour Versailles.
  3. En arrivant à Paris, le Roi et la Reine avaient été conduits d’abord à l’Hôtel de ville. « C’est toujours avec plaisir et confiance, avait dit le roi, que je me vois au milieu des habitants de ma bonne ville de Paris. » Le maire, Bailly, répéta ces paroles au peuple, et oublia le mot confiance. La Reine lui rappela. « Messieurs, reprit galamment Bailly, vous êtes plus heureux que si je ne m’étais pas trompé. »