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très bonne. L’Empereur m’inquiète aussi beaucoup ; malgré toute sa raison, il s’exposera sûrement à toute sorte de fatigue et de danger. J’en suis doublement affligée, non seulement par la tendresse pour lui et le vif intérêt que je prends au chagrin de Votre Majesté, mais aussi parce que je n’aurai pas le plaisir de le voir cette année.

Je serais bien fâchée si les Allemands étaient mécontents de moi ; j’avouerai que j’aurais parlé davantage à M. de Paar et au petit Starhemberg s’ils avaient meilleure réputation ici. J’ai pourtant dans les temps des bals fait venir M. de Lamberg et Starhemberg, et, d’abord que j’ai vu qu’ils dansaient, je les ai fait danser avec moi.

Il y a à cette heure beaucoup de train ici ; il y a eu samedi un lit de justice pour affirmer la cassation de l’ancien parlement et en mettre un autre[1] ; les princes du sang ont refusé d’y venir et ont protesté contre les volontés du Roi ; ils lui ont écrit une lettre très impertinente, signée d’eux tous hors du comte de la Marche, qui se conduit très bien dans cette occasion-ci. Ce qui est le plus étonnant à la conduite des princes, c’est que M. le prince de Condé[2] a fait signer son fils, qui n’a pas encore quinze

  1. Il s’agit ici de la chute des Parlements et de leur remplacement par ce qu’on a nommé le Parlement Maupeou, Irrité de la résistance des Parlements, le Roi avait résolu de s’en défaire, à l’instigation du chancelier Maupeou. Dans la nuit du 20 au 21 janvier 1771, cent soixante-neuf présidents ou conseillers furent exilés, et le 14 avril un lit de justice, solennellement tenu à Versailles, supprima les Parlements et les remplaça par une nouvelle assemblée, composée en partie de membres du Grand Conseil. Maupeou avait profité de ce coup d’État pour simplifier certaines formalités et abréger les lenteurs de la justice. Mais la population, les princes du sang en tète, sauf le comte de la Marche, prit avec éclat parti pour les exilés. Sur cette réforme, qui, malgré sa brutalité, avait de bons côtés, on peut consulter l’étude de M. Flammermont sur le chancelier Maupeou.
  2. Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, né en 1736 mort en 1818. Il s’était distingué pendant la guerre de Sept ans, où il avait gagné la bataille de Johannisberg. Pendant la Révolution, il forma et commanda le corps d’émigrés désigné sous le nom d’Armée de Condé ; il était le