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quetterie de leur besogne et ils oublient l’égout, en retenant l’ordure au dehors.

Je dois, en bonne conscience, faire une exception pour M. Feydeau. Ce n’est que faute d’un peu d’esprit qu’il dépasse la mesure ; mais je louerais beaucoup plus son dernier roman, qui a des parties excellentes, si l’auteur n’avait l’habitude de ne laisser rien à dire à ses lecteurs, en fait de compliments, et si je ne me souvenais de la Fille aux yeux d’or. Quoi qu’il en soit, M. Feydeau a voulu, voyant les mœurs de son temps, écrire à son tour les Liaisons dangereuses. Il est parti d’un point de vue austère ; il flétrit sans ambages les belles façons des grandes dames ; il a dépeint avec une sûreté de coloris incontestable le portrait de son héroïne ; mais il n’a pu se garer du défaut commun. C’est un Joseph Prudhomme faisandé. En deux ou trois endroits il souligne trop, et on peut lui appliquer ce moyen de comparaison qui condamne les autres romanciers trivialistes : il lui serait impossible de mettre son héroïne au théâtre.

Remarquez bien que c’est la pierre de touche. Balzac, le sublime fumier sur lequel poussent tous ces champignons-là, a amassé dans madame Marneffe toutes les corruptions, toutes les infamies ; et pourtant, comme il n’a jamais mis madame Marneffe dans une position si visiblement grotesque ou triviale que son image pût faire rire ou soulever le goût, on a représenté madame Marneffe sur un théâtre. Je vous défie d’y mettre Fanny ; la scène principale la ridiculiserait ! Je vous défie d’y mettre la comtesse de Chalis ! Je vous défie d’y laisser passer Germinie Lacerteux, Thérèse Raquin, tous ces fantômes impossibles qui suintent la mort, sans avoir respiré la vie, qui ne sont que des cauchemars de la réalité.