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termes au roi Abgar[1] : « J’ai reçu la lettre signe de votre amitié et on a lu en ma présence ce que firent les Juifs au crucifié ; déjà l’éparche Blyanus[2] m’avait dénoncé les actes du juge Pilate en termes semblables à ceux de votre missive. Cependant comme je suis occupé en ce moment à faire la guerre à l’Espagne qui s’est insurgée contre moi, il m’est impossible de tirer vengeance de ces crimes ; mais j’ai résolu qu’aussitôt que le temps opportun me sera offert je châtierai les Juifs impies qui foulèrent aux pieds les lois. Quant au juge Pilate que j’avais installé dans ce pays là, je l’ai remplacé et destitué honteusement pour l’infraction qu’il fit à la loi et pour avoir accompli la volonté des Juifs en crucifiant Jésus au milieu d’eux ; au lieu que j’entends dire que non seulement cet homme ne méritait pas la croix ni la mort, mais qu’au contraire il était digne qu’on lui rendît des honneurs, des adorations et des hommages[3] ; du reste ils étaient témoins oculaires de tout ce qu’il faisait. Mais vous, vous avez bien fait de m’écrire, conformément à notre intimité et à l’alliance permanente que vos ancê-

  1. Cette lettre diffère assez de celle que rapporte Moïse de Khorène (l. c.) et semble adaptée après coup pour répondre aux deux lettres d’Abgar dont la seconde n’est pas relatée ici, mais qui se trouve aussi chez Moïse de Khorène.
  2. M. Cureton lit Aulbinus dans le texte syrien et le croit forfait ; il n’en est pas moins dans notre texte arménien, qui d’ailleurs fait rappeler le nom Plinius, bien qu’il n’y eut pas dans ce temps là aucun gouverneur ou proconsul de même nom ni en Syrie ni ailleurs. On connaît bien le gouverneur Albinus, mais il est postérieur, c’est-à-dire au temps de Néron. Quant à l’époque en question c’était Vitellius gouverneur de la Syrie (Tacite, Ann. VI, 32), et avant lui Aelius Lamia (Id. ib. 27) : or il paraît que c’est à l’un de ces deux derniers que fait allusion notre ouvrage.
  3. Dans sa lettre telle qu’elle se trouve chez Moïse de Khorène, Tibère se montre assez pleinement convaincu de la dignité de Jésus pour le ranger parmi les dieux, et il se plaint de l’opposition du Sénat : or ce fait vient d’être confirmé par le grave témoignage de Tertulien (Apol. 5.), aussi bien que par Eusèbe. Le dernier non seulement en parle dans son Hist. Eccles. (II, 2) mais il indique aussi dans les notes de sa Chronique : « Tibère menaça de faire tuer tous ceux qui parleraient mal des Chrétiens ».