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Suffit pour vous dire que je ne crois pas que tout en vous isolant en apparence de Paris vous cesserez de vous sentir en rapport assez direct avec Paris.

J’ai une fièvre de travail extraordinaire ces jours ci, actuellement je suis aux prises avec un paysage à ciel bleu au-dessus d’une immense vigne verte pourpre jaune, à sarments noirs & orangés.

Des figurines de dames à ombrelles rouges, des figurines de vendangeurs avec leur charrette l’égayent encore.

Avant-plan de sable gris. Toujours toile de 30 carrée pour la décoration de la maison.

J’ai un portrait de moi tout cendré, la couleur cendrée qui résulte du mélange du véronèse avec la mine orange, sur fond véronèse pâle tout uni, à vêtement brun rouge, mais exagérant moi aussi ma personnalité j’avais cherché plutôt le caractère d’un bonze, simple adorateur du Bouddha éternel. Il m’a coûté assez de mal mais il faudra que je le refasse entièrement si je veux réussir à exprimer la chose. Il me faudra même encore me guérir davantage de l’abrutissement conventionnel de notre ainsi nommé état civilisé afin d’avoir un meilleur modèle pour un meilleur tableau.

Une chose qui me fait énormément plaisir: j’ai reçu une lettre hier de Bockc (sa sœur est dans les vingtistes Belges) qui écrit s’être établi dans le Borinage pour y peindre charbonniers et charbonnages. Il reviendra cependant, à ce qu’il se propose, dans le midi – pour varier ses impressions et certes dans ce cas viendra à Arles.

Je trouve excessivement communes mes conceptions artistiques en comparaison des vôtres.

J’ai toujours des appétits grossiers de bête. J’oublie tout pour la beauté extérieure des choses que je ne sais pas rendre car je la rends laide dans mon tableau et grossière alors que la nature me semble parfaite.

Maintenant pourtant l’élan de ma carcasse osseuse est tel qu’il va droit au but, de là il résulte une sincérité quelquefois originale peut-être dans ce que je fais si toutefois le motif puisse se prêter à mon exécution brutale et inhabile.