nous approcher, de nous juger. As-tu jamais songé à cela, que nous ne sommes pas tout à fait le même être pour chacun des autres ? Est-ce étrange !
— Ah ! tu n’es pas banale, toi ! » s’écria Huguette.
Elle leva les yeux pour envoyer à son amie un regard de câlirierie souriante. Et elle ajouta, marquant sans le savoir le vrai sens de cette amitié où la curiosité malsaine du monde trouvait matière à calomnie et à scandales :
— « C’est vrai, tu es la seule femme qui ne me rase pas. Ce que les autres sont barbantes ! Et puis, je sais que tu as un peu d’affection pour moi, de l’affection bon teint, que tu ne souhaites pas de me voir défigurée, compromise ou ruinée, — comme c’est le plus cher vœu de toutes les belles mignonnes qui m’embrassent à bec que veux-tu ?… « Ma chère », par-ci, « mon trésor » par là. »
Ayant achevé ces réflexions qui faisaient honneur à sa perspicacité, la vicomtesse de Gessenay recommença de s’appliquer à sa tâche, c’est-à-dire de se faire les ongles.
— « Tu m’excuses, Jocelyne chérie. Cette stupide manucure ne peut me donner qu’une heure par semaine. Je la garde tout de même. C’est la commère de Paris qui sait le plus de potins. »
Sur ce, Huguette plongea la pointe d’un bâtonnet d’ivoire dans la pâte blanche d’un petit pot triangulaire. Elle en déposa une légère couche à l’entour de ses ongles, « à cause, des peaux ». Dans une boîte octogonale, elle avait de la pâte rouge, et, dans une autre, en forme de losange, de la poudre rosée. Enfin, une espèce de vernis, où trempait un minuscule pinceau, luisait dans un flacon qui ressemblait à un cœur.
Cet arsenal bizarre imposait l’énigme de ses lignes au cerveau de Mlle Monestier, et les y fixait, comme s’y fixaient, malgré le reflux bouillonnant des impérieuses pensées, les multiples figures des instruments d’or, d’ivoire, d’écaille, d’acier, alignés sur les napperons de guipure, partout, dans ce cabinet de toilette du luxe le plus minutieux.
— « En somme, Huguette, tu ne connais pas ton mari ?