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— « Enfin », dit Robert, « il y a tout de même des choses que vous préférez à la philosophie, — fût-elle de Nietzsche ?

— Je vais vous paraître une horrible pédante, en vous répondant : Non, il n’y a rien que je préfère. Si jamais vous savez ce que cet esprit admirable a fait de moi, de quoi il m’a préservée, ce qu’il m’a mise à même d’accomplir, vous comprendrez… » Elle eut de nouveau son beau sourire pour ajouter : — « Vous comprendrez que je le défende contre les faux pontifes de lettres, contre les bluffers, qui ne l’ont jamais compris, jamais lu, et qui en imposent aux niais avec quelques lambeaux défigurés de son œuvre…

— Vous êtes sévère.

— Non, monsieur. Car ces gens-là font du mal. Ce sont des ouvriers de déchéance. Nous n’avons pas besoin qu’on accélère chez nous l’affaiblissement des caractères.

— N’est pas fort qui veut », murmura Robert.

— « Pardon », rectifia- t-elle- doucement. « Est fort qui veut. C’est la volonté qui manque le plus. » Elle ajouta, en soulignant les mots : « La volonté de puissance. »

Clérieux ne savait pas que ces trois mots forment précisément le titre d’une des œuvres capitales de Nietzsche. Mais son cœur battit. La hantise qui, jour et nuit, tendait ses fibres se révéla dans un soupir :

— « S’il suffisait de vouloir !… »

Mlle Monestier posa longuement son regard clair, un peu dur, sur les yeux sincères de Clérieux. Quelque chose d’indéfinissable flotta entre ces deux êtres. Ils sentirent un lien, un secret. Rien de sensuel. Ils oubliaient, par miracle, ce qui veille toujours entre un homme et une femme : l’amour. Qu’était-ce donc ?

Jocelyne prononça lentement :

— « Ah ! oui, il vous en faut, à vous, de la force !

— Vous savez ?…

— Je sais… Plus que vous.

— Est-ce possible ?

— Pour cela, j’ai voulu vous connaître.

— Dans mon intérêt ?