une expertise maquignonne. Mme de Gessenay n’en perdait pas un, de ces coups d’œil brutalement flatteurs. Mais elle semblait ne pas s’en apercevoir, occupée à détailler attentivement les toilettes des dames restées dans la salle. Aux saluts empressés de ceux qui avaient le privilège de la connaître, elle répondait par le bref et distant signe de tête interdisant la trop grande familiarité de s’arrêter pour lui parler.
Derrière elle, la conversation, tout à coup, partait d’un élan imprévu entre Jocelyne et Robert. Hors de l’ambiance paralysante d’une incompréhension railleuse, leurs deux pensées allaient l’une vers l’autre dans une région où elles se plaisaient.
— « Nietzsche trahi par cette pièce ? » répétait Mlle Monestier. « Mais, monsieur, autant qu’il est trahi dans les romans, dans les vers, dans toutes les œuvres de cette pauvre petite école française, paralysée de snobisme et d’impuissance, qui se réclame de lui. Ces faibles esprits l’ignorent. Lui, le plus altier professeur d’ascétisme et d’énergie, lui qui nous tendait la nourriture reconstituante dont notre caractère amoindri a le plus grand besoin, il n’a trouvé chez nous que des interprètes aveugles ou félons. En son nom, au nom de cet apôtre de l’énergie, qui réclame de chacun le plus grand effort, on prêche, sur la scène française, dans le roman français, la doctrine de l’avachissement dans l’égoïsme !…
— Le terme est fort.
— Il est vulgaire. Moins vulgaire que de telles conceptions. Vous êtes-vous contracté d’écœurement tout à l’heure devant la grossièreté de cette espèce de commis voyageur en droguerie, soi-disant nietzschéen ? Savez-vous que Nietzsche n’a pas dédaigné de marquer la nécessité des « bonnes manières » comme une des formes de la dignité et de l’empire sur soi ?
— Je connais très peu Nietzsche, mademoiselle.
— Vous ne connaissez pas son beau programme de ce qu’il appelle « les passions qui disent : oui ».
Et elle cita de mémoire :
— « La fierté, la joie, la santé, l’amour, l’inimitié et la guerre, la vénération, les belles attitudes, les bonnes