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à force d’aimer

Ces paroles lui étaient échappées. Bien qu’il les eût formulées à voix presque basse, il vit, en tournant les yeux vers Chanceuil, que celui-ci les avait entendues. Le sursaut dont elles avaient soulevé le chef de cabinet l’ébranlait encore, et son cou tendu en avant, son regard avivé, disaient sa curiosité soupçonneuse. Au fait, cet homme ignorait le motif de l’agression de René. La rage de l’humiliation subie l’avait jeté à ce duel féroce, peut-être sans qu’il en eût cherché un seul instant la véritable cause. Maintenant son attention était éveillée. Qu’allait-il croire ?… La réflexion inconsidérée de Marinval ne pouvait, en modifiant dans un sens profond l’état d’âme inconscient des deux adversaires, que donner au combat plus de gravité.

On annonça la deuxième reprise. Ils tombèrent en garde.

Dans le grand silence du bois, le cliquetis des épées se mêlait à des bruits vagues et doux : appels d’oiseaux, bourdonnements d’insectes, craquements imperceptibles des branches travaillées par la sève. Il paraissait infini, ce silence, et chaque minute, éternelle… Tout à coup, sur la pâle figure de Chanceuil, on vit couler du sang… Un mince filet qui partait d’une piqûre à la joue, et tombait goutte à goutte sur le plastron de la chemise. Pourtant le jeu précis des adversaires continuait, sobre, implacable, sans que cette nouvelle blessure