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à force d’aimer

leva, et une seconde fois Marinval la saisit. Mais il ne la lâcha plus, malgré les efforts de l’autre pour la lui arracher. Ce fut une courte lutte, dont le bruit attira deux autres témoins : un reporter et un compositeur d’imprimerie qui se trouvaient dans la salle de rédaction. Et ils constatèrent la confusion de Chanceuil, car, tout à coup, par une rotation brusque de la canne, René lui tordit le poignet d’une manière si soudaine et si douloureuse, que, malgré son orgueil et sa rage, le chef de cabinet ne put réprimer un cri.

René resta maître de la canne, qu’il jeta à terre, vers la porte, de la plus méprisante manière.

Blême et suffoqué d’humiliation, Chanceuil resta quelques secondes immobile. On crut qu’il allait se jeter sur Marinval. Le fait est qu’il avait la tête si perdue de fureur que, eût-il tenu un revolver, il aurait certainement tiré. Mais, outre la répugnance, due à son éducation, pour la lutte à coups de poings, le sentiment de sa vigueur moins grande et la douleur de son poignet le rendirent circonspect. Il fit signe au garçon de bureau de lui ramasser sa canne, et, comme ses doigts se fermèrent dessus assez péniblement, il comprit que cette arme elle-même ne pouvait le servir. Il prit donc le parti de recourir à la dignité. Il dit au garçon :

— « Voulez-vous m’écrire le nom de ce monsieur — car je ne le connais même pas — et son