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à force d’aimer

Ce récit — combien de fois répété dans les salons tièdes en hiver ou les parcs ombreux en été ! — eut le succès qu’il rencontre toujours dans de semblables milieux. On riait, on se pâmait d’aise. Mais tout à coup une voix s’éleva, une jeune voix claire, rendue profonde par une intentionnelle gravité.

— « Papa, » disait tout haut Germaine à M. de Percenay, « tu me laisseras voir, au Théâtre-Indépendant, cette pièce dont on parle tant d’avance : La Force inconnue ? … »

Malicieusement elle fit tomber ce mot sur le groupe en gaieté comme on jetterait un filet d’eau froide dans un liquide en ébullition. Les fusées de joie se glacèrent. Un silence se fit. Et, dans le visage sérieux de la jeune fille, l’aigu retroussis des lèvres s’accentua, tandis que les paupières, s’abaissant légèrement, voilaient le dédain du regard.

Mais, déjà, les messieurs et les dames se remettaient de leur petit sursaut de saisissement. Ah ! c’est vrai, La Force inconnue !… On entendrait là de jolies élucubrations… Ça devait être quelque machine à tirades, où l’on écouterait des ouvriers faisant la morale aux patrons… Des acteurs aux mains tout exprès salies allaient pérorer dans un décor fumeux d’usine… On appelait ça du théâtre… Enfin, comme c’était interdit, ça valait la peine de s’y ennuyer deux heures. Heureusement