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Il était donc bien naturel que la population de Trois-Rivières fût sous le coup d’une vive émotion, car si les Anglais étaient incapables de résister à Sorel toute la vallée du Saint-Laurent serait balayée par les Américains, et Trois Rivières serait le premier poste qu’ils occuperaient.

L’arrivée d’Har­dinge n’était pas de nature à calmer l’inquiétude, et les nouvelles qu’il appor­tait se répandirent dans la ville cette nuit-là même, malgré tout ce qu’on put faire pour garder le secret officiel.

Le commandant de la ville était fort alarmé. « Les nou­velles d’en haut étaient déjà assez mauvaises, dit-il à son premier secrétaire, après avoir lu les dépêches d’Hardinge ; celles d’en bas ne sont pas plus rassurantes.

« Trois-Rivières se trouve ainsi entre deux feux. Montgomery à l’ouest, et maintenant, Arnold à l’est. J’ai bien peur qu’il ne nous faille succomber ; et le pire de tout est que, maîtres de tout le pays entre les postes militaires, avec des émissaires dans tous les villages le long de leur route, ils profitent de l’opportunité qui leur est laissée pour influencer nos simples et naïfs paysans.

«  Ici, à Trois-Rivières, on peut déjà remarquer facilement dans notre population des symptômes de désaffection, et je crains bien que ce sentiment ne s’accentue à la nouvelle de cette nouvelle source de danger. »

Le secrétaire était un vieillard. Il écouta attentivement ces paroles de son supérieur en mordillant les barbes de sa plume et en laissant paraître d’autres signes d’excitation nerveuse.

«  Je suis certain, Monsieur, que vous n’exagérez pas la situation, dit-il d’une voix lente mais avec résolution. Nous sommes à la veille d’une crise et je crains que dans une semaine d’ici la ville de Trois-Rivières ne soit aux mains des Bastonnais. Nous n’avons aucun moyen de résistance, et en eussions-nous, qu’il y a trop de dissension parmi nous pour essayer de résister avec quelque chance de succès. La première question qui se pose est de savoir s’il est mieux pour vous de pourvoir à votre propre sécurité aussi bien qu’à celles des archives et des registres de la ville.

— Ni l’un, ni l’autre, répliqua le commandant avec dignité. Quant à moi, le devoir de ma charge m’oblige à rester à mon poste