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part la largeur du cours d’eau, elles n’ont aucune supériorité sur celles de Montmorency.

En hauteur, elles leur sont bien inférieures, le Montmorency étant près de cent pieds plus élevé au-dessus du niveau inférieur, que le Niagara. Le volume d’eau plus considérable du Niagara, augmente le bruit de la chute et la buée qui en remonte ; mais le tonnerre de Montmorency se fait aussi entendre à une grande distance, et sa colonne de vapeur est un beau spectacle sous les rayons puissants du soleil ou sous les éclairs fulgurants d’un orage. Les décors de cette scène grandiose sont certainement plus beaux que ceux du Niagara, en ce qu’ils sont beaucoup plus sauvages. Le paysage aux alentours est rude, rocheux et couvert de forêts. En face s’étend au loin et au large le majestueux Saint-Laurent, au milieu duquel repose la belle île d’Orléans, un pittoresque jardin. Mais c’est surtout en hiver que les chutes de Montmorency sont belles à voir. Elles présentent alors un spectacle unique au monde.

Les hivers canadiens sont remarquables par leur sévérité, et presque chaque année, pendant quelques jours au moins, le mercure descend à vingt-cinq ou trente degrés au dessous de zéro.

Quand arrivent ces grands froids, les eaux impétueuses du Montmorency sont arrêtées dans leur cours précipité, et, sous leur manteau de glace, elles apparaissent comme un voile de dentelle blanche jeté sur le bord du précipice et suspendu dans l’espace. Avant que la congélation se complète, néanmoins, il se produit un autre phénomène bien singulier. Au pied des chutes, où l’eau bouillonne et remonte sous forme de globules liquides et de vapeur impalpable, une éminence se forme graduellement, s’élevant constamment en forme de cierge, jusqu’à ce qu’elle atteigne une hauteur considérable, parfois un quart ou un tiers de la hauteur de la chute elle-même.

Elle est connue sous le nom de Cône. Les Canadiens-Français l’appellent plus poétiquement le pain de sucre. Dans les beaux jours de janvier, quand les blancs rayons du soleil d’hiver viennent caresser, comme en se jouant, cette pyramide de cristal, font étinceler ses veines d’émeraude et illuminent d’un rayon réfractaire les cavités circulaires par lesquelles l’air comprimé se fraie un passage, l’effet des rayons prismatiques est enchanteur. Des milliers de personnes visitent Montmorency chaque hiver dans le seul but de jouir de ce spectacle. Il est inutile d’ajouter que les jeunes gens visitent le Cône dans le dessein plus prosaïque de glisser sur les toboggans ou les traîneaux, du sommet de ce pic de glace jusqu’au milieu du Saint-Laurent.