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les bastonnais

VIII
le cœur triste.

Ceci n’était pas non plus son unique chagrin. Le matin qui suivit la visite de Batoche, la première pensée de Cary, à son réveil, fut pour la lettre de Zulma. Il demanda à Pauline de la lui lire, ce qu’elle fit aussitôt. La lettre était courte et simple. Elle exprimait l’étonnement et le chagrin causés à la jeune fille par le terrible malheur arrivé à Cary et à ses compagnons et contenait toutes les consolations que l’on pouvait attendre de son cœur ardent et de sa généreuse nature. La seule phrase remarquable était la dernière, qui se lisait comme suit : « Savez-vous que toutes ces adversités me rendent égoïste ? Il me semble que je suis traitée cruellement. Je sais que vous êtes entre bonnes mains, mais c’est ma place d’être à côté de vous, et je suis jalouse de Pauline, qui a le bonheur d’être votre garde-malade. Dites bien ceci à Pauline. Dites-lui que je suis terriblement jalouse et que, si elle ne vous ramène pas à la santé dans quelques jours, je conduirai moi-même une colonne d’assaut, qui réussira à assouvir sa vengeance. Pardonnez-moi cette plaisanterie.

Présentez mes amitiés à Pauline. Je lui écris plus au long sur ce sujet. »

Ces phrases étaient assez innocentes, assez ordinaires et elles firent sourire Cary. Il n’en fut pas de même de Pauline. Elle les lut avec un visage sérieux et d’une voix hésitante, et quand elle eut fini, son regard tomba sur celui du malade avec une expression d’anxiété.

— Une bien bonne lettre, telle que je l’attendais de sa part. J’espère pouvoir la remercier bientôt, dit-il. Et elle vous a écrit aussi, mademoiselle ?

Ceci fut dit de manière à laisser voir clairement le désir de Cary d’entendre lire cette seconde lettre. Pauline le comprit, mais bien que la lettre fût cachée dans son corsage et qu’elle levât instinctivement la main pour la prendre, elle réprima ce mouvement et se contenta de dire qu’entre autres choses, Zulma lui recommandait de prendre le plus grand soin de son patient.

— Vraiment ! dit Cary en souriant, c’est un excès de générosité ; mais elle aurait pu s’épargner cette peine. Permettez-moi de vous le répéter, mademoiselle : ni ma propre mère, ni mes sœurs, ni même Zulma Sarpy ne pourraient me donner de meilleurs soins