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à l’égard de son enfant ; peut-être la nouvelle est-elle exagérée. Nous en apprendrons davantage vers le soir et il peut arriver que les pertes ne soient pas aussi grandes qu’on les représente. Du moins, il peut se faire qu’il n’y en ait aucune qui vous touche personnellement, ma chère enfant, et j’espère qu’il en sera ainsi. Prenez donc courage. Il se fait tard. La neige continue de tomber et les routes doivent se remplir rapidement. Retournez chez vous et tâchez de garder votre âme en paix. Demain, vous viendrez à la messe basse et j’espère que nous aurons de meilleures nouvelles à nous communiquer mutuellement.

En dépit de ces paroles encourageantes du pasteur, Zulma retourna chez elle, le cœur bien lourd. Elle ne dit pas un seul mot au domestique qui conduisait sa voiture. Au lieu d’offrir sa figure à la tempête et de laisser tomber sur elle les flocons de neige, comme elle en avait l’habitude quand elle était de joyeuse humeur, elle tint son voile baissé, et le mouchoir qu’elle retirait souvent de dessous ce voile montrait qu’elle pleurait en silence. Il arrive souvent que les femmes les plus expansives et les plus fières supportent leurs peines avec un calme sans ostentation, donnant ainsi à leur chagrin, par l’effet du contraste, un plus grand relief. Il en fut ainsi de Zulma dans les circonstances actuelles. Repassant dans son esprit tout ce que le prêtre lui avait dit, et son voyage lui offrant le loisir d’apprécier tout ce que les nouvelles qu’elle avait apprises pouvaient avoir de terrible, elle était complètement accablée quand elle arriva chez elle. En descendant du traîneau, elle se faufila silencieusement dans sa chambre où elle se renferma afin d’être absolument seule. Elle demeura ainsi presque jusqu’à l’heure du souper et longtemps après que les ombres du soir l’eurent enveloppée.

II
la prophétie de blanche.

Quand monsieur Sarpy se retrouva avec sa fille, à la table, il s’aperçut aussitôt que quelque chose allait mal. Lui-même n’avait rien appris. La violence de l’ouragan de neige avait empêché toute visite au manoir, excepté celle de quelques indigents du voisinage, qui étaient allés, de bonne heure dans la matinée, recevoir leurs aumônes régulières. La journée s’était écoulée, pour le vieux seigneur, dans la solitude, et comme il n’avait eu aucune appréhension, il avait passé son temps très agréablement, à parcourir ses livres favoris. Sans doute, il était tombé sur de la littérature légère