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les bastonnais

— Et pris ? demanda Zulma, incapable de se contraindre plus longtemps.

— Non, ma fille, les deux attaques ont été repoussées.

Zulma étreignit son front de ses deux mains et elle serait tombée sur le plancher si elle n’avait pas été soutenue par le bon prêtre.

— Courage, ma chère enfant, dit-il. Pardonnez-moi de vous avoir dit ces choses, mais à votre attitude dans l’église, j’ai bien vu que vous n’en saviez rien et j’ai cru qu’il était bon que je fusse le premier à vous en informer.

— Pardonnez à ma faiblesse, Monsieur le Curé, répondit la jeune fille avec douceur. Sans doute, je prévoyais ce qui est arrivé, mais ces nouvelles n’en sont pas moins terriblement soudaines. Je vous en supplie, donnez-moi tous les détails que vous connaissez. Je me sens plus forte maintenant et puis tout entendre.

— Je sais peu de choses certaines. Dans l’émoi général, toutes sortes de rumeurs sont aggravées quand elles nous arrivent, à cette distance. Mais l’on m’assure que le général Montgomery a été tué et le colonel Arnold blessé. Je connaissais ces messieurs ; ils ont dîné plusieurs fois à ma table. C’étaient des hommes charmants et je les aimais bien. Je suis désolé d’apprendre leur malheur.

— Avez-vous appris le sort de quelques autres officiers ?

— D’aucun, nominalement, sinon que c’est un certain Morgan qui a remplacé Arnold et rendu son armée.

— Morgan ? s’écria Zulma, et cette fois, elle fut tellement maîtrisée par son émotion, qu’elle tomba épuisée sur une chaise.

Le prêtre fut fort étonné. Quoique ses visites périodiques au manoir Sarpy eussent été interrompues durant l’occupation américaine de la Pointe-aux-Trembles, il savait d’une manière générale que Zulma avait fait connaissance avec l’un ou l’autre des officiers, ce qui était sa principale raison de croire que monsieur Sarpy et sa fille seraient particulièrement intéressés à apprendre de ses lèvres des nouvelles fraîches de la guerre, mais il ne soupçonnait pas que les sentiments de Zulma allassent plus loin et n’avait, par conséquent, aucune idée de l’effet que ses paroles produisaient sur elle. Ce fut seulement quand il fut témoin de son profond chagrin et de son abattement qu’il entrevit une partie de la vérité, avec cet instinct caractéristique des hommes qui, séparés eux-mêmes du monde par la loi austère du célibat, se dévouent entièrement aux intérêts spirituels et temporels de leur troupeau.

— Ne vous laissez pas abattre, dit-il, en s’approchant de la chaise de Zulma et en se penchant vers elle, avec la bonté d’un père