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les bastonnais

VI
le bal au château.

Le soir de ce même jour, le 1er décembre, il y avait grande fête à Québec. On donnait un grand bal au château pour célébrer l’arrivée du gouverneur Carleton. Un double sentiment animait tous les invités et rendait plus vif le plaisir de la soirée : la satisfaction que l’on ressentait d’avoir vu le gouverneur échapper providentiellement à tous les dangers de son voyage de Montréal à Québec, et l’assurance que sa présence apporterait un secours efficace à la défense de la ville. La réunion était nombreuse et brillante. Jamais le vieux château n’avait été témoin d’un spectacle plus réjouissant. Les familles françaises rivalisaient avec les familles anglaises pour assurer le succès de la fête. Le patriotisme paraissait revivre dans les cœurs des plus tièdes et un grand nombre dont l’attitude avait été douteuse jusque-là, vinrent, de la façon la plus courtoise, proclamer leur loyauté au roi George, dans la personne de son représentant.

Mais M. Belmont n’était pas de ceux-là. Quand il apprit les préparatifs du bal, il devint très sérieux.

« C’est un piège tendu pour nous prendre, » dit-il.

Un jour ou deux plus tard, quand il reçut une invitation formelle, il en fut si troublé, qu’il fut pris d’une fièvre assez violente.

«  Heureuse maladie, murmura-t-il ; j’aurai maintenant une excuse valide. »

Pauline lui prodigua ses soins avec sa tendresse habituelle, mais ne put obtenir de lui qu’il lui confiât la cause de sa maladie. Elle avait entendu parler, naturellement, du grand événement qui était le sujet de conversation de toute la ville ; mais elle ne soupçonnait pas un instant que son père avait été invité et c’est sans appréhension, conséquemment, qu’elle accepta, à sa prière, l’offre d’Eugène d’aller faire au manoir Sarpy l’excursion dont nous avons déjà donné les détails au lecteur.

Quelques heures après son départ, Batoche arriva soudain, porteur de la nouvelle à sensation que les Bastonnais allaient revenir le lendemain pour commencer le siège régulier de la ville, et le père anxieux le chargea d’aller chercher sa fille et de la ramener aussitôt. Dans le cours de la même soirée, Roderick Hardinge se présenta chez M. Belmont et fut très alarmé d’apprendre l’absence de Pauline, mais il fut partiellement rassuré quand M. Belmont lui