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les bastonnais

XVII
o gioventu primavera della vita.

Dans la quinzaine qui suivit, Zulma et Cary se rencontrèrent presque tous les jours et même plusieurs fois par jour. Il était impossible qu’il en fût autrement. Aucun pouvoir, sur terre, ne peut restreindre deux jeunes cœurs palpitant sous les premières impulsions de l’amour. Quand l’imagination est sous le charme des peintures roses de la destinée, quand l’âme est remplie des sentiments délicieusement inexprimables d’un amour partagé ; quand les nerfs, tendus, vibrent comme les cordes d’une harpe ; quand le sang bout et circule rapidement dans les veines, colorant les lèvres, les joues et le front ; quand, enfin, les yeux voient le monde couleur de rose, à travers une buée de larmes qui sont une souffrance agréable et un douloureux plaisir entremêlés d’une inexplicable manière, alors, il n’y a pas de froides conventions qui aient la force de contrôler les impulsions de l’esprit ; il n’est pas de verrous, de barres ou de chaînes qui puissent garrotter les jambes alertes qui s’élancent avec joie à travers le paysage enchanté que le bon Dieu nous a ouvert à tous, au moins une fois dans la vie, comme un délicieux avant-goût du paradis.

Qu’importait à Zulma et à Cary que le ciel d’automne fût sombre, que le vent mugît tristement à travers les forêts dépouillées de leur feuillage, que la neige obscurcît la face du soleil et chargeât l’atmosphère d’une humidité malsaine ?

Ils s’asseyaient ensemble devant le foyer brillant et conversaient pendant des heures entières, oublieux du rigoureux hiver qui commençait ; ou bien, ensemble, ils se tenaient à la fenêtre et formaient un frappant contraste entre la lumière et la chaleur qui inondaient leurs cœurs et le temps sombre et froid de l’année sur son déclin ; ou encore, ils s’attardaient sous le portique, hésitant à se séparer jusqu’au lendemain et ne s’apercevant pas de l’inclémence de la température, dans leur espoir de se revoir bientôt. Que leur importait-il que Singleton eût à accomplir des services militaires qui le retenaient au camp de longues heures chaque jour, ou l’éloignaient à la tête de pelotons d’éclaireurs, à travers le pays, à la recherche de provisions ou pour surveiller les mouvements de l’ennemi ? Il employa si bien son temps que, tout en ne négligeant jamais ses devoirs de soldat, il trouva le moyen de satisfaire les besoins de son cœur. Les difficultés qu’il rencontra ne firent que stimuler son ardeur et il était heureux de savoir, bien qu’elle ne le