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traite, sans reprendre haleine. Une fois partis, il fallait seulement veiller à ce qu’ils ne s’écartassent pas du droit chemin. Pour moi, lorsque je pris possession de mon emploi, je n’avais encore que onze ans, et ma voix était tout à fait celle qu’on exigeait alors d’un postillon de bonne maison : perçante, sonore et assez soutenue pour faire résonner, une demi-heure durant, le mot« ggga-a-a-are ». Mais, vu mon jeune âge, je n’étais pas encore de force à me maintenir sur ma bête pendant un long voyage ; aussi, pour m’empêcher de tomber, m’attachait-on à la selle au moyen d’un système de ressorts et de courroies. C’était un service pénible. Parfois, harassé, brisé de fatigue, il m’arrivait de m’endormir sur ma monture ; puis le mouvement du cheval me réveillait et je reprenais mes sens jusqu’au moment où je succombais de nouveau au sommeil. Quand nous étions de retour à la maison, on me détachait de la selle plus mort que vif, on me déposait à terre et on me donnait du raifort à flairer.