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se désennuyer, ils se battent à coups de fouet. Si vous sortez, vos regards ne peuvent s’arrêter sur rien : les chevaux errent, le poil hérissé, les membres recroquevillés ; la maigreur de ces pauvres animaux est telle que leur queue et leur crinière semblent flotter sur le vide. Ils se traînent à grand’peine, grattant avec leur sabot la légère couche de neige durcie qui cache l’herbe gelée dont se compose toute leur nourriture… C’est un ennui mortel. Voici la seule distraction : dès qu’on s’aperçoit qu’un cheval est devenu trop faible, qu’il n’a plus la force de fouiller dans la neige et de mâcher les racines gelées, aussitôt on lui plante un couteau dans la gorge, on l’écorche et on mange sa chair. C’est pourtant une viande détestable : elle a une saveur douceâtre qui ressemble tout à fait à celle de la tétine de vache, mais elle est coriace : comme on n’a rien d’autre, naturellement, on la mange, quoiqu’il faille se faire violence pour l’avaler. Par bonheur, une de mes femmes savait fumer les côtes de cheval : elle en pre-