Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comtesse de Genlis, qui écrit Adèle et Théodore et les Veillées du château, qui donne à ses élèves le goût des métiers autant que celui des arts, fait de la curiosité le principal ressort, des voyages la principale des ressources de l’éducation, remplace les poétiques féeries de l’imagination par les pratiques féeries de la science, et cherche à fortifier ses leçons non par l’attrait du roman, mais par l’intérêt du drame. Ses héros sont des héros de théâtre ; ils montent sur les planches d’un tréteau, et ce tréteau est dressé dans un salon. Mme  de Genlis a inventé la féerie dramatique et la féerie scientifique. Elle a pondu l’œuf qu’ont fécondé les Louis Figuier et les Jules Verne. Elle a écrit dans les Veillées du château ces lignes félines et malignes, et gracieusement fatales :

« Enfin, reprît Mme  de Clémire en s’adressant à ses filles, quel ouvrage
lisez-vous ?
— Maman… c’est… le Prince Percinet et la Princesse Gracieuse.
— Un conte de fées !… comment une telle lecture peut-elle vous plaire ?
— Maman, j’ai tort, mais j’avoue que les contes de fées m’amusent.
— Et pourquoi ?
— C’est que j’aime ce qui est merveilleux, extraordinaire, ces métamorphoses,
ces palais de cristal, d’or et d’argent… tout cela me paraît
joli.
— Mais vous savez bien que tout ce merveilleux n’a rien de vrai ?
— Sûrement, maman, ce sont des contes,
— Comment donc cette seule idée ne tous en dégoûte-t-elle pas ?
— Aussi, maman, les histoires que vous nous contez m’intéressent mille
fois davantage, je passerais toute la journée à les entendre : et je sens bien
que je me lasserais promptement de la lecture des contes de fées.
— D’autant mieux que si vous aimez le merveilleux, vous pouvez beaucoup
mieux satisfaire votre goût en faisant des lectures utiles.
— Comment cela, maman ?
— Votre ignorance seule vous persuade que ces prodiges et ce merveilleux
n’existent que dans les contes. La nature et les arts offrent des phénomènes
tout aussi surprenants que les aventures merveilleuses du prince
Percinet.
— Oh ! maman, c’est une façon de parler.
— Point du tout, et pour vous le prouver je m’engage à faire un conte,
le plus frappant et le plus singulier que vous ayez jamais entendu et dont
cependant tout le merveilleux sera vrai !
— Quoi ! maman, cela serait possible ?