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du genre, écueil dont les auteurs ne se méfient pas assez, et qui provoque tant de naufrages dans l’ennui. En un mot, la décadence du conte de fées, tel que récrivent Mme d’Aulnoy et ses émules, se trahit en cela surtout que sous leur plume la féerie renonce à ses sources traditionnelles, à ses origines populaires. C’est de la féerie du jour, pastiche et postiche, de la féerie de salon, de boudoir, d’opéra, c’est-à-dire ce n’est plus de la féerie.

Perrault, lui, a eu le bon goût de respecter les répits traditionnels et légendaires, en les perfectionnant, en les affinant, en les habillant à la mode du goût et de l’esprit français à leur meilleure époque. Il imite avec originalité l’antiquité de la féerie. Après lui, c’est lui qu’on imite, ce sont ses canevas qu’on brode, ses thèmes qu’on varie. Mlle L’Héritier a pris dans le Pentamerone la fable de son Adroite Princesse (Sapia Liçarda) et emprunté la plupart de ses autres récits aux romans chevaleresques ; mais, avec beaucoup d’esprit, elle n’a point l’art et le goût qui donnent une valeur originale à des pastiches. Mme d’Aulnoy amalgame et combine, pour en tirer sa Finette Cendron, des éléments empruntés à la Cendrillon, à la Peau d’Âne et au Petit Poucet de Perrault. Le Chat botté du maître lui a fourni l’idée de la Chatte blanche[1]. La Biche au bois, le Rameau d’or, sont d’inspiration chevaleresque et l’Oiseau bleu d’inspiration orientale. Mme d’Aulnoy sait donner à ses récits le ragoût d une imagination gracieuse, fine et tendre ; mais on comprend que cette saveur encore piquante de ses récits composés d’après ceux de Perrault, ou inspirés par des légendes chevaleresques, se perde et s’évente tout à fait et devienne de la fadeur dans les imitations de ses imitatrices.

Après Mme d’Aulnoy, Mlle de la Force et Mme de Murat, chez laquelle commence à poindre cette note sceptique, sarcastique, qui s’accentuera chez le comte de Caylus, dont la bonhomie maligne rappelle de loin la légère ironie d’Hamilton, le conte pour les enfants subit une suprême et décisive transformation. Après avoir été exploité par Perrault, qui parlait des fées comme s’il y croyait, et y croyait peut-être, par Mmes d’Aulnoy, de la Force et de Murat, qui n’y croyaient guère, par Hamilton, qui n’y croyait pas du tout et s’en moquait sans façon, le genre tombe

  1. On trouve aussi bien des analogies avec la Chatte blanche de Mme d’Aulnoy dans le conte breton : les Petites Coudées, publié par Sébillot, p. 118.