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les triomphes galants, la plus large part aux victoires de l’esprit, que son modèle, dont l’auteur n’a imité personne, est celui qui dans notre littérature a eu le plus d’imitateurs, dont les copies ne sont pas à dédaigner, et auxquels le sujet a porté bonheur : le Prince Marcassin, la Belle et la Bête, Zémire et Azor.


VIII.


Nous en avons fini avec Perrault, ou plutôt nous avons achevé ce que nous voulions en dire, car on n’en finirait jamais avec ce galant, aimable et savant homme, et le sujet sur lequel il a laissé une ineffaçable empreinte, qu’il a, en quelque sorte, marqué à son nom, est de ceux que deux siècles d’études critiques n’ont point épuisé ; il est inépuisable comme l’imagination même dont il est l’histoire en ce qui touche une de ses plus brillantes et fécondes créations, le monde fantastique, la féerie.

Mais enfin il faut savoir se borner et continuer notre voyage à travers la littérature féerique jusqu’au moment où l’enchantement finit, faute d’enchanteurs, où la mode défait ce que la mode avait fait, et où la mobilité de l’esprit français passe à d’autres engouements. Le voyage, d’ailleurs, ne sera plus long ni varié par la nouveauté des points de vue et la succession des paysages divers. Perrault, en effet, a laissé peu à faire à ses successeurs. Il est le classique par excellence, on peut dire le classique unique d’un genre qu’il personnifie, et il a emporté dans la tombe l’art d’en tirer des chefs-d’œuvre.

Après lui, on ne fera plus que glaner dans ce champ des fictions populaires, des légendes traditionnelles où il a si largement moissonné, laissant une gerbe de récits achevés où le génie français a mis sa belle humeur, sa finesse, sa mesure, qui sont un exemple de ce que l’esprit combiné avec le bon sens peut faire dans les sujets le moins favorables à l’un et à l’autre, un modèle de cet art exquis de rajeunir de vieux matériaux jusqu’au point d’être inventif dans l’imitation et original dans la copie.

Dès le lendemain de l’apparition des Contes de Perrault, le succès, qui trouve toujours des écrivains pour en profiter et des libraires pour l’exploiter, multiplie les imitateurs, les émules qui tous ambitionnent, dont aucun n’arrive à mériter ce titre de rival.