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dans ce récit, soit en italien, soit en français, deux récits originairement distincts qui ont été ensuite soudés l’un à l’autre, car il y a deux actions, une comédie et un drame, dans l’aventure de la princesse endormie réveillée par un beau prince qu’elle épouse, et l’histoire, beaucoup moins romanesque, des appétits féroces de sa belle-mère, des stratagèmes qui déjouent ses plans et lui arrachent ses victimes.

Perrault, avec son bon sens français, ennemi des obscurités et des vapeurs du symbolisme, ne s’est pas demandé, comme un savant allemand, si son prince conquérant du château enchanté, qui réveille de son sommeil séculaire la princesse piquée à sa quenouille, n’est pas le Sigurd, de la légende de l’Edda, franchissant l’enceinte de flammes qui le sépare de Brynhild, endormie par Odin à la suite d’une piqûre d’épine, et si ce ne sont pas là des personnifications de la nature endormie par l’hiver et réveillée par le soleil du printemps. Il ne s’est pas inquiété non plus du rapport qui pouvait exister entre la Belle au bois dormant et la princesse Zélandine du roman de Perceforest, endormie aussi d’un sommeil magique, dont l’éveille le chevalier Troylus ; encore moins de celui qui peut exister entre le petit Jour sauvé par le cuisinier fidèle de l’appétit carnivore de sa grand’mère et le petit Cyrus, fils de Mandane, sauvé par Harpage fie l’arrêt de mort prononcé par son grand-père Astyage, roi des Mèdes. Il a pris dans la tradition populaire cette double aventure de la princesse endormie par le maléfice d’une fée Guignon, et de la grand mère anthropophage aimant ses petits-enfants jusqu’au point de les vouloir manger. Il a arrangé le tout à la sauce piquante, et l’on peut dire que la sauce vaut mieux que le poisson.

Il en est de même de sa Peau d’Âne, un des contes favoris du seizième siècle, comme en témoignent Noël du Fail avec son Cuir d’Asnette et Oudin avec son Cuir d’Asnon. Là aussi on pourrait retrouver trace d’un fondement mythique, la résurrection de la terre au printemps, se parant des robes nuptiales couleur du soleil. couleur de la lune et couleur du temps, c’est-à-dire couleur de l’air, couleur du ciel. Mais, encore une fois, Perrault ne se soucie point de symbolisme, et quand il en fera dans Riquet à la Houppe, ce sera sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose, mais d’une façon humaine, animée, vivante. Il ne soutiendra pas une thèse, il ne prétendra pas prouver quelque chose, et ne