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Il peut y avoir aussi, dans les modifications sinon dans la création du personnage, type de la tyrannie féodale et conjugale prête à tout pour assurer le secret et l’impunité de ses orgies, aux abominables mystères, qui mêlaient au vin d’une cruelle ivresse le sang de féminines ou enfantines victimes, il peut y avoir du souvenir de cet Henri VIII, Barbe-Bleue couronne, qui sacrifiait ses femmes sur l’échafaud à mesure qu’il les connaissait ou qu’elles le connaissaient trop : divorce sanglant auquel la sixième, Catherine Parr, n’échappa que par miracle, pour se remarier, dès l’année qui suivit la mort de l’époux dont la perte ne la laissa pas inconsolable. Il y a encore du souvenir de tous les tyrans conjugaux et féodaux légendaires, depuis le sire de Favel qui faisait du cœur de son rival, le sire de Coucy, un rôti monstrueux, jusqu’aux barons brigands des châteaux-repaires d’Auvergne (Fléchier nous a raconté leurs exploits), dont l’audace bravait jusqu’à l’autorité de Louis XIV, et ne céda que devant les robes rouges de ce parlement ambulatoire suivi du bourreau.

Faut-il y voir aussi, comme Paul de Saint-Victor, un souvenir de ce roi breton, Comorus, qui tuait ses femmes, que ressuscitait saint Gildas, ou de ce sire de Carnoët, qui égorgeait aussi ses femmes quand elles devenaient fécondes, par crainte sans doute et par pudeur de voir continuer la race en lui maudite ? Tout cela peut être vrai. S’il y a de tout dans tout, c’est surtout dans les contes populaires, résultat d’un véritable travail d’alluvions successives. Toujours est-il que c’est un des contes où Perrault a le plus ajouté de son cru et de celui du temps, tout en respectant certains détails, certaines formules dont l’archaïsme forme un si piquant contraste avec l’a Hure aisée et le tour vif de son récit. L’est être original que d’imiter ainsi. Cette originalité de Perrault éclatera bien davantage dans la Belle au bois dormant, Peau d’ânes dont il a brodé de si poétiques et si piquants détails le canevas Chevaleresque ou oriental, et dans Biquet à la Houppe type immortel de la supériorité de l’âme sur la bête, de la victoire de l’esprit sur la beauté, dont la création lui appartient entièrement.

La Belle au bois dormant, comme Cendrillon, comme Peau d’Âne, a un fond qu’on peut dire mythique, symbolique, emblématique, et dont il demeure des traces dans le nom des deux enfants que leur grand’mère veut croquer, Aurore et Jour, Soleil et Lune selon la version du Pentamerone, Il est facile de s’apercevoir, qu’il y a