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pas les plantes ou fleurs purement fabuleuses, comme le rameau d’or ou là mandragore qui chante.

Mais, pour en revenir aux bêtes, s’il est un animal qui, par la souplesse de ses mouvements sinueux, son œil de topaze, son poil électrique, son museau moustachu, sa patte de velours à griffes, soit plus propre qu’un autre à jouer un rôle dans l’œuvre féerique, c’est le chat, qui semble dépaysé dans le jour de la réalité, le chat frileux qui rêve et ronronne devant le feu, le chat noctambule dont la volupté amoureuse a les cris et les trépignements du sabbat, le chat qui se caresse à l’homme si égoïstement, léchai de tout temps favori de l’alchimiste et du sorcier, le chat d’Agrippa et de Flamel qui glisse sans encombre, en vertu d’un privilège mystérieux, à travers les parchemins, les cornues et les alambics.

Il y a un chat, un maitre chat, un chat fée, un chat sorcier, dans la plupart des légendes féeriques, et Perrault ne pouvait oublier le Chat botté, dont on retrouve encore des héritiers abâtardis dans les Chats sorciers de la croix de Meurtsell ou de la croix de Couchas sur la lisière de la lande de Frehel, dans les légendes bretonnes.[1]

De tout temps, ces chats, comme tous les animaux féeriques, ont eu le privilège de la parole, et le Chat botté est un joli type de ces chats d’esprit, amis de l’homme, et le plus souvent ministres auprès de lui de la faveur féerique.

Si Le Chat botté ou le Maître chat de Perrault ne sort pas de la IX* Nuit de Strapparole, traduite dès 1579 d’italien en français, par Pierre de Larivey, Champenois, il sort du Pmtamerone. Il est dans l’esprit de Perrault comme dans celui de ses devanciers, le symbole de ces faveurs capricieuses du sort qui font de tel pauvre bellâtre de la veille un enrichi du lendemain. Il personnifie, non sans ironie, cette chance inouïe, cette fortune subite de certains parvenus, heureux sans se donner d’autre peine que la peine de l’être, dont tout l’effort consiste à laisser faire à leur étoile, à profiter sans scrupule de la bêtise humaine, toujours prête à s’engouer des gens heureux, les dispensant d’être habiles et même d’être honnêtes, et trouvant plaisir à applaudir la voiture neuve qui passe de tous les marquis de Carabas.

Dans Strapparole, ce n’est pas un chat, c’est une chatte qui sert d’instrument à la fortune du déshérité Constantin, et qui représente

  1. Paul Sébillot, les Chais sorciers et les Bossus, p. 310-313.