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lan, et dans la cinquième journée du Pentamerone napolitain (Nenillo et Nenilla). Les Anglais ont leur Tom Thumb (notre Tom Pouce) ; ils ont aussi Temolin, Tamlane, Tommel Finger, Jack lhe geant-Killer et Tom Hickathrist, comme les Allemands ont leur Danmesdick, leur Daümling et leur Daümerling, offrant tous, plus ou moins, des personnifications de la grâce, par rapport à la force, de l’esprit par rapport à la bêtise, des exemples de cette généreuse et piquante victoire, riche d’un double contraste, fécond en émotions tragiques et comiques, du plus faible sur le plus fort, du plus petit sur le plus grand, qui peut compenser l’inégalité des conditions et rétablir l’équilibre des influences. De tout temps, les poètes et les conteurs ont été attirés vers ce mythe piquant et consolant de la victoire de la faiblesse sur la force. Dans un hymne homérique à Mercure, le poète le montre « né le matin, joueur de cithare à midi ; le soir, il dérobait les bœufs d’Apollon. » La légende d’Hercule étouffant, à deux mois, de ses petites mains déjà héroïques, sur le bouclier qui lui servait de berceau, les serpents envoyés par Junon pour le dévorer, s’y rattache indirectement, car ce sont là des enfances divines, dont les miracles n’étonnent pas, de même que les exploits de l’enfance de Gargantua et de Pantagruel, qui sont des fils de géants et font naturellement des choses impossibles aux enfants des hommes.

Ce qui est vraiment piquant, vraiment intéressant, vraiment français d’inspiration, c’est le triomphe sur l’ogre, au grand coutelas et aux bottes de sept lieues, de ce Petit Poucet, fils de bûcheron, gamin de la forêt, comme Gavroche est le gamin du ruisseau, qui fourre, partout où il y a à guetter et à écouter, son museau de souris, ses yeux de moineau, ne s’étonnant et ne s’effrayant de rien, vif, hardi, jovial, bon garçon, farceur et mystificateur au besoin, et riant jusque sous le couteau.

Le Petit Poucet, c’est bien vraiment l’esprit et le cœur français aux prises avec les vicissitudes de la vie et les caprices de la fortune. Ce Petit Poucet-là ira encore loin et haut, espérons-le, et, après avoir touché à tant de grandeur et de gloire, ne retombera pas dans la petitesse et l’humilité primitives. Car les peuples ne peuvent cesser de grandir que pour se rapetisser. En dépit de plus d’une aventure et d’une mésaventure, de plus d’une éclipse, ce Petit Poucet n’a pas perdu les bottes de sept lieues de la langue universelle, et n’a pas cessé de gagner plus d’honneur que