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nel la physionomie typique, et sous le costume et le langage moderne, laissa à propos percer, par quelque détail et par quelque trait, par quelque formule, leur naïveté archaïque et populaire, comme on mêle un coin, un lambrequin de vieille tapisserie à la tapisserie moderne, et comme on les attache au besoin par un clou terni de l’ancienne décoration[1] ; et il leur fit jouer leur comédie au profit de deux ou trois moralités de morale mondaine, profane, courante, familière, de ce qu’on peut appeler la morale du bon sens. Nous sommes loin, dans l’inspiration et dans l’exécution de ses contes, de l’état d’esprit de la haute société du temps à l’endroit de la féerie et des fées, état d’esprit qu’une lettre de Mme de Sévigné à sa fille, du 6 août 1677, antérieure d’un an seulement à Peau d’âne, nous peint à merveille, nous mettant ainsi à même de comprendre ce que ne fit pas Perrault et ce que, quinze ans plus tard, fit Hamilton. Mme de Sévigné écrivait donc, le 6 août 1677, à sa fille :

« Mme de Coulanges, qui est venue ici me faire une visite jusqu’à demain, a bien voulu nous faire part des contes avec quoi l’on amuse les dames de Versailles ; cela s’appelle les mitonner ; elle nous mitonna donc, et nous parla d’une île verte ou l’on élevait une prêtresse plus belle que le jour. C’étaient

    cellemment Paul de Saint-Victor, leur donne un charme nouveau. On aime à retrouver dans le palais de la Belle au bote dormant les filles d’honneur, les gentilshommes de la chambre, les mousquetaires, « les vingt-quatre violons et les Suisses au nez bourgeonné » de la grande galerie de Versailles, il nous plaît que la méchante reine veuille manger la petite Aurore « à la sauce-Robert ». Les « mouches de la bonne faiseuse » vont à ravir au sieurs de Cendrillon. Quand le Petit Poucet, « après avoir fait quelque temps le méfier de courrier, et y avoir amassé beaucoup de bien, « achète pour son père et pour ses frères » des offices de nouvelle création », cette conclusion et l’histoire paraît un dénouement naturel. Mascarade piquante et naïve ! Il nous semble voir Obéron, en habit de marquis, se promener avec Titania, coiffée à la Fontanges, dans une chaise à porteurs aérienne, qu’escortent Ariel et Puck déguisés en pages. »

  1. C’est encore là une fine remarque de Paul de Saint-Victor.

    « De temps en temps, des formules anciennes se détachent sur le clair langage du conteur, pareilles à des inscriptions archaïques enchâssées entre les pierres neuves d’un édifice reconstruit. « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie. — « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » — « Elle vient de douze mille lieues de là. » — « Elle alla donc bien loin, bien loin, encore plus loin. » C’est la voix cassée et lointaine de la tradition, interrompant un récit moderne, »