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et d’une férocité à la fois terrible et grotesque, il n’a pas plus exagéré la férocité, l’air farouche et le ton brutal de ses personnages odieux, qu’il n’a exagéré la beauté ou la majesté de ses fées, la grâce de ses héroïnes, la galanterie de ses héros, personnages agréables, grate persone de ses drames.

Toutes ces figures sont à un point juste, familier, naturel. Ses rois sont des tyrans débonnaires qui, comme celui de Peau d’Âne, n’ont que des caprices, des velléités de persécution dont ils font bientôt amende honorable, et qui semblent conspirer eux-mêmes à mettre en relief la vertu de leur passagère victime. Barbe-Bleue lui-même n’est pas si pressé de tuer sa femme, qu’il ne lui donne le temps d’éviter le châtiment suprême. Il menace sans cesse de monter au haut de la tour, si elle n’en descend point ; mais il ne le fait pas, et les frères libérateurs arrivent, qui n’ont pas de peine à débarrasser leur sœur d’un bourreau plus prodigue de menaces qu’expéditif dans ses cruautés. La belle-mère de la Belle au bois dormant, qui a la fantaisie de manger ses petits-enfants à la sauce-Robert, semble plutôt une folle, une maniaque, atteinte d’un appétit dépravé, qu’une véritable ogresse, une goule, une louve, une harpie, une stryge, un vampire, un monstre enfin. Les personnages les plus méchants des petits drames ou plutôt des petites comédies de Perrault, car tout y finit par des mariages et par des moralités galantes et piquantes qui ont des airs d’épithalames, ce sont les belles-mères, jalouses et fantasques peut-être encore plus que cruelles, comme la marâtre de Cendrillon. Mais ces marâtres fâcheuses, et grondeuses, et envieuses, quel charmant repoussoir elles ont dans la marraine, la fée familière et officieuse qui prend à tâche de tout arranger, et qui semble de la famille, tant elle est bonne personne ; jusqu’aux méchantes fées, qui se contentent de sorts presque anodins, et dont la vengeance se satisfait à peu de frais, comme celle qui se contente de condamnera dormir cent ans la Belle au bois dormant.

Ce tact, cette mesure, cette sobriété, cette discrétion, ce goût dans l’emploi heureux et la mise au point juste des personnages fantastiques et légendaires, sont d’autant plus à remarquer à l’éloge de Perrault, qu’il écrivit son livre en pleine vieillesse, à un âge d’expérience et de désabusement, et qu’il dut résister à la tentation d’avoir de l’esprit, d’en donner à ses héros, de les accommoder à la façon, à la mode piquante du jour, et de préférer au