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s’établit le plus avant dans l’intérieur de l’Europe. En Dacie et Pannonie, on les nomma d’abord Hunni-Gours, et leur pays Hunni-Gourie ; de là sont venus les noms de Hongrois et de Hongrie. Les Hongrois, les Hunni-Gours, les Ouïgours, sont les ogres de nos contes de fées ; ce sont des êtres féroces, qui dévorent les enfants, et aiment la chair humaine, tendre et savoureuse.

« Les Hongrois au neuvième siècle sont les Oïgours, et dans les écrits en langue romane des douzième et treizième siècles, ce sont les Ogres. Ouvrez le dictionnaire de la langue romane, au mot Ogre, et vous y trouverez pour synonyme le mot Hongrois. Il n’y a rien de plus certain et de mieux prouvé que cette origine.

L’ogre serait donc une création fantastique, une race imaginaire d’hommes géants, torves, velus, menant la vie sauvage, issue du souvenir, toujours vivant chez nos populations rurales, des excès des invasions barbares, hunniques, tartares, normandes, sarrasines, anglaises ; toutes les légendes ont de même leur race cannibalesque d’hommes ou de monstres à face humaine, pires que les tigres et les loups, ogres des contes français, gouls (d’où goulu) des contes arabes, démons sauvages retirés, embusqués dans les lieux déserts, affamés de chair humaine, dont la griffe ne fait quartier à aucun passant. Il en est question dans la quinzième des Mille et une Nuits.

L’étymologie du mot ogre, donnée par Walckenaër, et qui nous semble assez plausible, est contestée, ou plutôt chicanée par Littré, qui lui oppose des étymologies beaucoup moins naturelles selon nous, sous prétexte que la forme du mot, dans les langues romanes, ne se prête pas à la dérivation d’ogre par Hongrois, Hongre et Oïgour. Pour lui, l’étymologie régulière est dans l’ancien espagnol huergo, huerco (espagnol moderne, ogro, ogre) ; dans l’italien orco, le napolitain huerco (triste), l’anglo-saxon orc (démon infernal), du latin orcus, enfer, dieu de l’enfer, d’après Diez (orucs, d’après Maury, est un mot étrusque). Tout cela est bel et bon ; mais nous persistons à trouver beaucoup plus claire, logique et conforme à la raison historique, dont il faut bien tenir quelque compte dans la formation des mots, l’étymologie tirée de Hongre et Oïgour.

Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer, mais nous insistons parce que c’est là un trait original, un trait essentiel de sa physionomie de conteur, Perrault s’est bien gardé de donner à ses ogres cette figure antique, quelque peu grimaçante,