mêmes n’ont rien de trop repoussant. Ils sont bons pères, bons maris, et il semble que ce n’est pas leur faute s’ils ont coutume de se nourrir de petits enfants et de se régaler de ces chairs fraîches, tendres, rosées et lactées, en compagnie de leur famille et de leurs amis.
Il y a des ogres et des ogresses dans la plupart des contes de Perrault, et c’est le cas de dire ce qu’il faut penser, historiquement et étymologiquement, de cette race fantastique d’anthropophages européens, qui semblent être la personnification, exagérée par la terreur populaire, des excès commis par les races d’invasion. Pendant la guerre de Cent ans, du temps de du Guesclin, comme le remarque son dernier historien, la terreur et la haine des paysans et des bourgeois, foulés et rançonnés à merci par les chefs des grandes compagnies, par les bandes de soudards anglais et n a carrais dont les châteaux forts étaient de vrais repaires de bandits, les accusaient de boire, pendant leurs orgies, le sang des petits enfants et de manger leur chair[1].
De tout temps, les peuples frontières, ceux qui souffrent les premiers et le plus longtemps des maux et des excès inséparables d’une invasion, ont traité d’ogres les farouches intrus, et dans les récits de la veillée on entend encore parler des Tartares, Cosaques, Kalmouks et Baskirs de l’invasion de 4814, comme de véritables ours humains, mangeurs de chandelle et de viande crue, macérée sous la selle, « chair d’enfant plus que d’agneau, » disent, se signant, les vieilles commères.
L’ogre est donc, dans les contes de fées, la personnification, vue avec les yeux grossissants de la terreur populaire, du brigand, du larron, de l’envahisseur, habitant des cavernes et des forêts. Il y a là un souvenir des géants, des cyclopes antiques, mêlé avec celui des Huns d’Attila, des Goths d’Alaric, des Tartares de Gengis-Khan et de Tamerlan.
« Les plus anciens et les plus cruels de ces dévastateurs devinrent les plus célèbres, dit Walekcnaër, et leurs noms servirent à désigner tous les autres. C’est ainsi qu’on réunît les noms des anciens Huns et des féroces Oïgours, pour désigner les Madgyars, tribu tartare, venue des bords du Wolga, qui
- ↑ Histoire de Bertrand du Guesclin et de son époque, par Simeon Luce, p. 294 et 309.