Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récits de la nourrice, récits de la chaumière, récits de la tente, du bivouac ou du tillac des peuples patriarcaux, conquérants ou marins, récits de la veillée autour du foyer féodal où le troubadour et le trouvère errants paient leur écot en histoires ou en fables. Ces canevas, grossiers d’abord, d’origine grecque, romaine, égyptienne, juive, indoue et brahmanique, chinoise et boudhique, germanique, italique, espagnole, ont été successivement ornés, enjolivés, brodés, suivant les temps et les lieux, par l’imagination des poètes du genre, et portent l’empreinte de toutes les phases de civilisation qu’il a traversées. Ce magique édifice, aux ordres et aux styles mêlés, superposés, des légendes grecques et indiennes, où la superstition des chrétiens du moyen âge demeurés païens d’imagination, a accolé, éclairées par le même azur de vision, ses chapelles gothiques aux restes de temple grec et de mosquée arabe, repose, comme sur un double fondement, sur un double besoin propre à l’humanité dans tous les temps et dans tous les pays : le besoin de peupler le monde de l’imagination, d’êtres d’une puissance supérieure et d’une vie extraordinaire ; le besoin de peupler le monde du sentiment d’êtres bienfaisants, capables de réparer les injustices d’ici-bas et de fournir aux cœurs déçus le refuge d’un empire du bien qui les guérisse des blessures de l’empire du mal. Asile idéal des esprits avides d’infini, malades de solitude, blessés par les balai îles humaines, des cœurs que désole l’éternelle lutte de la passion et du devoir, et que révolterait, si elle était sans espoir, la loi de l’inévitable séparation, souci de toute affection humaine, ce monde enchanté avait, au siècle de Louis XIV, à la veille d’une transformation du genre, à la veille de ce qu’on peut appeler la renaissance de la féerie française, son histoire, ses traditions, ses bibles privilégiées, sources rafraîchissantes et salutaires, oïl puisèrent, pour bâtir leurs fictions nouvelles sur des éléments antiques, Perrault et Mme  d’Aulnoy en fidèles, et Hamilton en sceptique de la religion de la chimère.

Ayant d’entrer dans l’étude critique des chefs-d’œuvre de l’école française de la féerie, et d’esquisser l’histoire et la philosophie de ses personnages typiques, nous emprunterons à Paul de Saint-Victor, le poète de la critique, quelques fragments, quelques lambeaux de pourpre de son article sur les Contes de fées, et nous les dresserons, comme un superbe rideau de fond, comme un décor olympien, sur la scène de nos modestes analyses.