Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Majesté ; cependant à peine fut-elle à table, qu’elle dit à Violent : « Votre Majesté me paraît surprise de la liberté que je prends ; mais c’est une vieille habitude, et je suis trop âgée pour me réformer ; ainsi Votre Majesté voudra bien me pardonner. — À l’amende ! s’écria Violent, vous devez deux guinées. — Que Votre Majesté ne se fâche point, dit la vieille. J’avais oublié qu’il ne fallait pas dire Votre Majesté ; mais Votre Majesté ne pense pas qu’en défendant de dire Votre Majesté, vous faites souvenir tout le monde de se tenir dans ce respect gênant que vous voulez bannir. C’est comme ceux qui, pour se familiariser, disent aux gens d’un rang inférieur qu’ils reçoivent à leur table : « Ne vous gênez pas… Vous pouvez boire à ma santé. » Il n’y a rien de si impertinent que cette bonté-là : c’est comme s’ils leur disaient : « Souvenez-vous que vous n’êtes pas faits pour boire à ma santé, si je ne vous en donnais la permission. » Ce que j’en dis, au reste, n’est pas pour m’exempter de payer l’amende ; je dois sept guinées, les voilà. » En même temps elle tira de sa poche une bourse aussi usée que si elle eut été faite depuis cent ans, et jeta les sept guinées sur la table.

Violent ne savait s’il devait rire ou se fâcher du discours de la vieille ; il était sujet à se mettre en colère pour rien, et son sang commençait à s’échauffer. Toutefois il résolut de se faire violence par considération pour Tity ; et, prenant la chose en badinant : « Eh bien ! ma bonne mère, dit-il à la vieille, parlez à votre fantaisie ; soit que vous disiez Votre Majesté ou non, je ne veux pas moins être de vos amis. — J’y compte bien, reprit la vieille ; c’est pour cela que j’ai pris la liberté de dire mon sentiment, et je le ferai toutes les