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mais aussitôt qu’il se fut enfermé dans sa chambre pour se coucher, il fut bien étonné de le trouver à la ruelle de son lit. Il résolut de ne point dire à ses enfants qu’il était devenu si riche, parce que ses filles auraient voulu retourner à la ville, et qu’il était résolu de mourir dans cette campagne ; mais il confia ce secret à la Belle, qui lui apprit qu’il était venu quelques gentilshommes pendant son absence ; qu’il y en avait deux qui aimaient ses sœurs. Elle pria son père de les marier ; car elle était si bonne, qu’elle les aimait et leur pardonnait de tout son cœur le mal qu’elles lui avaient fait.

Ces deux méchantes filles se frottèrent les yeux avec un oignon pour pleurer lorsque la Belle partit avec son père ; mais ses frères pleuraient tout de bon, aussi bien que le marchand : il n’y avait que la Belle qui ne pleurait point, parce qu’elle ne voulait pas augmenter leur douleur.

Le cheval prit la route du palais, et, sur le soir, ils l’aperçurent illuminé comme la première fois. Le cheval fut tout seul à l’écurie, et le bonhomme entra avec sa fille dans la grande salle, où ils trouvèrent une table magnifiquement servie avec deux couverts. Le marchand n’avait pas le cœur de manger ; mais la Belle, s’efforçant de paraître tranquille, se mit à table et le servit ; puis elle disait en elle-même : « La Bête veut m’engraisser avant de me manger, puisqu’elle me fait faire si bonne chère. »

Quand ils eurent soupé, ils entendirent un grand bruit, et le marchand dit adieu à sa pauvre fille en pleurant, car il pensait que c’était la Bête. La Belle ne put s’empêcher de frémir en voyant cette horrible figure ; mais elle se rassura de son mieux ; et le monstre lui ayant demandé si c’était de bon cœur qu’elle était venue, elle lui dit en tremblant que oui.