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tout l’ouvrage de la maison, l’insultaient à tout moment.

Il y avait un an que cette famille vivait dans la solitude, lorsque le marchand reçut une lettre par laquelle on lui mandait qu’un vaisseau sur lequel il avait des marchandises venait d’arriver heureusement. Cette nouvelle faillit faire tourner la tête à ses deux aînées, qui pensaient qu’à la fin elles pourraient quitter cette campagne où elles s’ennuyaient tant ; et quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures et toutes sortes de bagatelles. La Belle ne lui demandait rien ; car elle pensait en elle-même que tout l’argent des marchandises ne suffirait pas pour acheter ce que ses sœurs souhaitaient. « Tu ne me pries pas de t’acheter quelque chose ? lui dit son père. — Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m’apporter une rose, car il n’en vient pas ici. » Ce n’est pas que la Belle se souciât d’une rose ; mais elle ne voulait pas condamner par son exemple la conduite de ses sœurs, qui auraient dit que c’était pour se distinguer qu’elle ne demandait rien.

Le bonhomme partit ; mais quand il fut arrivé, on lui fit un procès pour ses marchandises, et, après avoir eu beaucoup de peine, il revint aussi pauvre qu’il était auparavant.

Il n’avait plus que trente milles pour arrivera sa maison, et il se réjouissait déjà du plaisir de voir ses enfants ; mais comme il fallait passer un grand bois avant de trouver sa maison, il se perdit. Il neigeait horriblement, le vent était si grand, qu’il le jeta deux fois à bas de son cheval ; et, la nuit étant venue, il pensa qu’il mourrait de faim ou de froid, ou qu’il serait mangé par des loups qu’il entendait hurler