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Jean-Alexis Abbatutis. Ce dernier nom est l’anagramme de l’auteur Jean-Baptiste Basile, comte del Torone, dont la vie est peu connue. Né vers la fin du seizième siècle, à Naples, il mourut en 1637, au service du duc de Mantoue. Son livre des Cinq Journées à dix contes chacune, contient cinquante histoires de facétie et de féerie tout à la fois. Il s’adresse à tous les âges, à tous les goûts, à tous les caractères, et chacun y trouve à rire. Écrit en patois napolitain, difficile à comprendre, même en Italie, il n’y eut pas un grand retentissement. Cependant, depuis 1637, date de la première édition publiée à Naples, il a été souvent reproduit. Les Espagnols paraissent lui avoir fourni la plupart de ses modèles.

« À côté des contes de fées populaires, il a rassemblé des proverbes, des calembours, des trivialités qui font le bonheur héréditaire des populations oisives du midi de la Péninsule. Le Decamerone de Boccace s’adressait aux châteaux, aux cours polies, le Pentamerone s’adresse aux carrefours. Il provient d’un pays où le conteur cherche le succès sur la place publique, comme en Orient, plutôt que dans les salles féodales, comme en Occident, et auprès des belles châtelaines.

« Lorsque dans ces derniers temps, le Pentamerone a été plus particulièrement remarqué chez nous, il a été goûté des gens d’esprit, et l’on a cru que c’était là que Perrault et les autres conteurs du siècle de Louis XIV avaient trouvé leurs charmantes historiettes. Mais il n’en est rien. Il n’y a point le moindre indice que le livre de Basile soit arrivé à Paris avant notre époque contemporaine, quoi qu’aient pu croire à cet égard MM. Génin et Brunet. La lettre que je réimprime, de Mlle Lhéritier, l’auteur de l’Adroite Princesse nous apprend que c’est à nos poètes du moyen âge que les conteurs de son temps avaient directement emprunté leurs récits. L’auteur du Pentamerone, en ce qui le touche, révèle parfaitement l’origine de son recueil ; il en a pris les types aux Espagnols, qui les avaient reçue des Arabes, qui les avaient transmis à nos poètes du Midi. Voilà comment Basile, Perrault et Mlle Lhéritier ont pu se rencontrer. »

Quoi qu’il en soit de cette explication, plus spécieuse que décisive, nous sommes désormais assez avancés dans la partie historique et critique de notre travail, dans l’étude des origines et des influences, pour examiner la question à un nouveau point de vue, celui qu’on pourrait appeler moral ou philosophique.

Les contes de fées ont, en effet, leur philosophie comme leur histoire, et, si l’on veut se rendre compte des raisons de leur long crédit, non seulement auprès de l’auditoire élégant des châteaux, mais encore auprès de l’auditoire ignorant des chaumières, de leur prestige, qui dure encore, sur le public enfantin et populaire, il ne suffit pas, pour expliquer cet attrait, du seul plaisir de l’i-