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saient pas, une fois mortes, de protéger ceux quelles avaient défendus, vivantes, Avant de revenir dans ce monde animer d’autres corps, ces âmes d’élite passaient dans un monde meilleur et vivaient là des milliers d’années sous l’enveloppe transparente du fantôme. Druidesses sur la terre, elles étaient fées au ciel. Les Celtes les vénéraient comme des déesses ; ils plaçaient sous leur invocation leur foyer, leur cité, leur patrie, et ils leur élevaient des autels symboliques, semblables à celui qui fut découvert au siècle dernier, orné de cette inscription mystérieuse : Genio Arvernorum. Ce n’était pas seulement l’Auvergne qui avait son génie. Dans toute la Gaule, dans toute la Grande-Bretagne, chaque ville avait sa fée protectrice. Bibracte avait la sienne, Lutèce avait la sienne, Bordeaux avait la sienne, la puissante Tudela ; Lyon avait la sienne ; Londres, Cantorbéry, Winchester, avaient les leurs.

« Ce ne fut qu’après le règne de Constantin que les populations celtiques, converties au christianisme, commencèrent à négliger leur ancien culte, et à délaisser les fées druidiques pour les anges de l’Orient C’est à cette négligence qu’a été attribuée la froideur témoignée dès lors par les fées à la race humaine. Le grand mouvement catholique des croisades parut augmenter leur froideur ; et, s’il faut en croire le poète Chaucer, elles avaient cessé de se montrer sur la terre dès le quatorzième siècle.

« Ainsi oubliées par les peuples ingrats, les fées s’étaient réfugiées au plus profond de l’éther. Mais telle était leur indulgence pour la race humaine que, dans les dangers pressants, elles redescendaient bien vite sur la terre pour prêter leur secours souverain aux générations qui les invoquaient. C’est ainsi qu’en plein moyen fige la fée Mélusine avait accepté l’hommage de Guy de Lusignan, et, en daignant épouser le comte, lui avait apporté en dot la victoire. C’est ainsi qu’au quinzième siècle, a une époque plus critique, au moment où notre sol natal était foulé par l’étranger, les antiques fées druidiques étaient apparues à Jeanne d’Arc sous le chêne de Bourlemont, et lui avaient mis aux mains cette épée irrésistible que Vercingétorix avait brandie, et avec laquelle la Pucelle reconquit la vieille Gaule !

« Les fées avaient gardé là-haut ce don de prophétie que, sibylles, elles avaient eu ici-bas. Elles voyaient l’avenir, elles connaissaient tous les secrets de la matière, elles avaient, comme la marraine de Cendrillon, le privilège divin d’être dispensées du travail. Mais, remarquons-le bien, quoique placées dans une région supérieure à la nôtre, elles n’en étaient pas moins soumises aux passions, aux infirmités, aux défaillances de la créature. Bien que chaque jour de leur vie équivalût à une année de la notre, elles n’en étaient pas moins mortelles. Bien que leurs aliments fussent plus raffinés que les nôtres, elles n’en étaient pas moins obligées de se nourrir… Si, comme l’Élysée de Virgile, le pays féerique avait un air plus pur et un autre soleil que notre terre, il n’offrait pas à ses élus de nouvelles jouissances. Là, les grandes distractions étaient encore des distractions hu-