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ment à la douleur d’un amant si parfait. Elle le releva malgré lui, car il s’obstinait à demeurer à genoux comme un criminel qui demande sa grâce ; et, bannissant cette feinte sévérité dont elle avait armé d’abord ses regards : « Venez, lui dit-elle, venez revoir votre Fleur d’Épine ; et, si votre constance est à l’épreuve du changement affreux de sa figure, vivez pour elle comme elle vivra pour vous. »

Tarare, dans les premiers transports de sa joie, dit et fit mille choses, en la voyant, qui auraient fait mourir de rire des gens qui ne connaissent point l’amour. Ensuite il protesta devant toute la cour, et en prit le ciel avec la terre à témoin, qu’il n’aurait jamais d’autre femme que Fleur d’Épine. Ce fut à elle à combattre cette résolution par des sentiments de générosité capables de la vaincre. Elle se mît donc à protester qu’elle avait tant de tendresse et de reconnaissance pour lui, qu’elle n’en voulait point ; qu’elle aurait conscience de lui faire perdre la plus brillante fortune, et la plus belle princesse de l’univers, pour se donner à elle, quand même elle se verrait les faibles appas qu’elle avait perdus ; mais que, dans l’affreuse laideur dont elle était, elle aimait mille fois mieux mourir que d’y consentir.

La divine Luisante, et le calife son père, jouaient un rôle assez médiocre pendant cette généreuse contestation : il s’en aperçut, et s’adressant à Serène : « Voilà, dit-il, qui serait le plus beau du monde, de part et d’autre, si ma fille n’y était intéressée : prétend-on, s’il vous plaît, que, belle et grande comme elle est, elle soit sans époux ? ou faudra-t-il qu’elle s’amuse toute sa vie de cet oiseau que vous lui venez de rendre ? C’est vraiment une belle ressource, pour une jeune princesse, qu’un perroquet ! »