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« Les attributs de la féerie dans les temps modernes ne ressemblent donc plus a ceux de la féerie de l’antiquité grecque et latine, bien qu’ils en dérivent. La féerie moderne a pris quelque chose d’oriental. La magie gracieuse de l’Orient s’est superposée à la féerie fatidique de l’antiquité classique en en gardant le fonds. Il est des contes qui courent le monde depuis que le monde existe… C’est sur le fonds éternel de la superstition des peuples et sur les débris de tous les cultes de l’Europe, échappé à la destruction opérée par le christianisme triomphant, que les relations ouvertes avec l’Asie et la Syrie par les voies nouvelles du négoce, par les pèlerinages, les pérégrinations domestiques et les guerres saintes, ont implanté les notions asiatiques de la mythologie féerique qui ont ravivé les sources du merveilleux dans la littérature européenne. L’Inde nous a révélé dès les premiers siècles ses apologues, ses fables, ses contes, ses récits de magie et d’enchantement que l’Occident s’est appropriés en les mêlant à ses traditions indigènes. Une littérature féconde est sortie de ces éléments confondus.

« … Pour en citer un exemple, est-il rien de plus répandu au moyen Age que le Roman de Sept Sages, recueil d’histoires que tout le monde connaît et dont les conteurs, en poésie comme en prose, se sont emparés dans toutes les langues modernes ? La rédaction primitive de ce livre le rattache à l’Inde. Une vieille traduction hébraïque l’a importé en Europe, où l’hébraïque à son tour a été traduit en latin dans un couvent de Lorraine ; et de cette ancienne traduction latine est éclose une nombreuse famille d’imitations qui remontent aux premiers jours du treizième siècle, Li romans de Dolopathos est une traduction libre, en vers français de 1225, de cette ancienne traduction latine dont je viens de parler et qui est perdue.

« Je n’ose vous parler d’un ouvrage allemand de M. Benfey, où des trésors d’érudition sont prodigués pour démontrer que, depuis l’Orient indien jusqu’à nous, on peut suivre la filiation des contes les plus répandus en notre Europe ; je me bornerai à citer un petit livre publié il y a quelques armées : l’Hitopadesa autre recueil de contes traduits du sanscrit en français et où vous trouverez aussi, non sans surprise, des rapprochements multipliés des contes hindous avec nos contes modernes.

« … Dans le Dolopathos figurent des fées, des anneaux enchantés y jouent un grand rôle ; ces ingénieuses fictions avaient passé des Bramines aux Persans et des Persans aux Arabes, chez lesquels les Européens les ont recueillis. Un ancien roman français, celui de Floire et Blancheflor, conserve encore la trace de ces importations indiennes, qu’il est facile de constater aujourd’hui dans plusieurs de nos épopées du douzième et du treizième siècle, par exemple, dans Partenopeus de Blois, Les caractères de la féerie française observés dans le centre et dans le midi de la France la rattachent évidemment aux Sarrasins ou Maures… »