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chez la sénéchale. C’était là qu’il avait laissé sa chère Fleur d’Épine, en partant pour aller chez Serène : et c’était là qu’il était résolu de la retrouver, ou de savoir ce qu’elle était devenue. Il l’y trouva : mais, dieux ! dans quel état !

Les réflexions qui avaient suspendu ses pleurs, après qu’il l’eut quittée, n’avaient garde de la remettre. Il lui avait demandé à elle-même où était Fleur d’Épine. « Dans quel affreux changement l’a-t-il trouvée, la malheureuse Fleur d’Épine, disait-elle ! Mais, hélas ! s’il m’avait jamais aimée, son cœur m’aurait-il méconnue ? Il ne m’a que trop reconnue ! poursuivit-elle ; je lui ai fait horreur, et je ne le reverrai plus.

Un redoublement de douleur l’ayant saisie dans ce moment, elle avait espéré que ce serait le dernier de sa vie ; et, comme elle avait gardé sur elle les tablettes où Tarare avait écrit des choses si tendres et si passionnées, elle y avait voulu laisser le portrait de son cœur, en lui disant les derniers adieux : il n’y eut jamais rien de si touchant.

Ce qu’on dit dans cet état funeste attendrit d’ordinaire ; et la pauvre Fleur d’Épine, qui suivait les mouvements d’un cœur sincère qui croit expirer, s’évanouit au dernier adieu qu’elle avait écrit dans ces tablettes. Tarare les reconnut ; mais ce ne fut qu’après avoir lu ce qu’elle venait d’écrire qu’il la reconnut elle-même. Tout son sang se glaça dans ses veines à cette vue : il l’examina depuis la tête jusqu’aux pieds, sans pouvoir trouver rien d’elle dans cette étrange figure : il la crut morte ; et, à la voir, on eût pu croire qu’il y avait plus de quinze jours qu’elle l’était.

Sa tendresse prit la place de son étonnement ; la compassion s’y joignit, en attendant le désespoir ; et, portant sa