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Tarare, qui la vint prendre le lendemain pour l’emmener, fut tout étonné du changement dont il la vit : elle sentait des maux effroyables qu’elle s’efforçait en vain de lui cacher ; elle connut, par les transports de sa douleur, qu’il en sentait toute la violence. Adieu son voyage, adieu le bien de l’État : il ne songea plus qu’à secourir Fleur d’Épine ; et, voyant par le redoublement de ses maux que tous ses soins étaient inutiles, il ne songea qu’à mourir avec elle.

La sénéchale, dans le désespoir de son amant et les tourments de sa rivale, goûtait à longs traits le plaisir de sa vengeance.

Le conseil du calife fut terriblement alarmé de ce que Tarare ne voulait plus partir. La More enfin, qui avait fait le mal, s’avisa de le faire cesser, afin que Tarare partît. Les douleurs de Fleur d’Épine la quittèrent tout à coup comme elles l’avaient prise ; mais il lui en resta tant de faiblesse et d’abattement, qu’elle conjura Tarare de céder aux importunités de toute la cour, et de partir sans elle. Ce ne fut qu’à regret qu’il obéit, mais ce fut de tout son cœur qu’il lui recommanda de ne point voir Luisante avant son retour : il l’assura qu’il serait très prompt, et partit après des adieux fort tendres de part et d’autre.

Mais ce fut en vain que Fleur d’Épine se flatta de se remettre après son départ. Elle tomba, malgré qu’elle en eût, dans une langueur dont elle se sentait miner à vue d’œil. Elle n’avait pas douté que, ses douleurs l’ayant quittée, son embonpoint ne revînt ; mais, au lieu de cette fraîcheur dont elle souhaitait ardemment le retour avant celui de son amant, une défaillance presque insensible la changeait de jour en jour.