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du ruisseau. « Va, mon mignon, disait-elle : cette vilaine bête prendra mon chapeau pour t’éclairer ; je l’y enverrais bien toute seule, si ce n’est qu’il n’a aucune vertu que quand il est sur la tête d’une fille, et qu’il ne faut pas que celle qui le porte, porte autre chose : va, mon fils, prends la cruche, ne crains point les esprits ; ils n’oseraient approcher quand le chapeau luit ; et je te promets que tu épouseras cette gueuse, qui fait tant la difficile, dès que tu seras de retour. — Oui-dà, j’y consens, dit Tarare en descendant, pourvu que ce ne soit qu’à son retour. » Il ne s’avisa pas de dire cela tout haut. Dès qu’il fut à terre, il courut en toute diligence se poster entre la maison et le ruisseau. À peine y fut-il, qu’il vit tous les lieux d’alentour éclairés comme en plein midi ; la charmante Fleur d’Épine fut le premier objet qui s’offrit à ses yeux ; elle lui parut si brillante, malgré l’éclat de ce chapeau, qu’il semblait que ce fût elle qui lui prêtât sa lumière. Le petit monstre qui l’accompagnait se traînait à peine sous le poids d’une cruche vide : le petit vilain ne se contentait pas d’être bossu pour faire horreur, il était boiteux comme un chien, et si petit, qu’il avait vainement essayé de prendre sa belle maîtresse sous le bras : jamais il n’avait pu atteindre qu’à la hauteur de sa poche ; il s’y était attaché, se traînant après elle du mieux qu’il pouvait, car Dieu sait les enjambées qu’elle faisait pour s’en dépêtrer : son cœur battait si fort de crainte et d’espérance, qu’elle n’en pouvait plus lorsqu’elle vint à l’endroit où Tarare l’attendait. Sa vue la fit tressaillir ; elle rougit et pâlit un moment après. Je ne sais s’il vit ces différentes agitations, ni comme il les expliqua, s’il s’en aperçut ; mais, après l’avoir rassurée, se saisissant de Dentillon, il