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Elle tourna les yeux avec surprise vers lui ; sa figure et sa manière de jouer ne s’accordaient pas. Quand il s’aperçut qu’elle l’écoutait, il fit semblant de suivre ses chèvres qui s’éloignaient. « Non, dit-elle, quand il eut cessé de jouer, l’harmonie de Sonnante n’est pas si agréable. Qu’il est heureux, poursuivit-elle, ce pauvre qui passe sa vie à garder les chèvres ! Hélas ! tout malotru qu’il est, je voudrais de bon cœur être ce misérable. Mais que vient-il faire si près d’un lieu détestable, puisqu’il ne tient qu’à lui de mener plus loin son chétif troupeau ? Que vient-il faire auprès de la demeure de Dentue ?… — Il vient vous en délivrer, belle Fleur d’Épine, » dit-il, en s’approchant d’elle tout d’un coup.

Elle en fut si surprise, qu’elle pensa s’évanouir ; mais il ne lui en donna pas le temps. « Oui, dit-il, je vous délivrerai, ou j’y perdrai la vie. — Hélas ! dit-elle en le regardant avec attention, pauvre garçon que tu es ! tu peux mourir ; mais tu ne saurais me sauver, puisqu’il faudrait pour cela me dégager de l’esclavage où je suis, et que cela est impossible. Tu me vois occupée du plus dégoûtant emploi du monde ; cependant j’y passerais de bon cœur ma vie, si je n’avais à craindre quelque chose de plus effroyable ; mais on veut que j’épouse le fils de Dentue.

— Je sais tout cela, lui dit Tarare, et je vous en sauverai. »

Elle regarda tout de nouveau un homme qui parlait avec tant de confiance, et qui paraissait tout savoir. Il n’avait eu que le plaisir de la voir, et n’avait pas encore senti celui d’en être regardé ; il le préféra dans son âme à tous ceux qu’il eût jamais eus. Il ôta son emplâtre pour paraître moins défiguré ; je ne sais s’il fit bien ; cependant, si elle ne fut pas fort touchée de son visage, elle s’accoutumait assez à