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un peu plus cher ; sa dame d’atours, quatre filles d’honneur et leur vieille gouvernante en étaient tout à fait aveugles.

Les grands du royaume, qui voyaient éteindre l’espoir de leurs familles par le feu que cet éclat fatal allumait, supplièrent le calife de vouloir remédiera à un désordre qui privait leurs fils du jour, et leurs filles de la lumière.

Le calife fit assembler son conseil pour voir ce qu’il y aurait à faire ; son sénéchal y présidait, et ce sénéchal était le plus sot homme qui eût jamais présidé. Le calife n’avait eu garde de manquer à faire son premier ministre d’une tête comme celle-là.

Dès que l’affaire fut proposée, le conseil fut partagé sur les expédients.

Les uns furent d’avis de mettre Luisante dans un couvent, soutenant qu’il n’y aurait pas grand mal quand trois ou quatre douzaines de vieilles religieuses avec leur abbesse perdraient la vue pour le bien de l’État ; d’autres dirent qu’il fallait, par lettre de cachet, lui fermer les yeux jusqu’à nouvel ordre ; quelques-uns proposèrent de les lui faire crever si adroitement, qu’elle n’en sentirait aucun mal, et s’offrirent d’en donner le secret.

Le calife, qui aimait tendrement sa fille, ne goûta aucun de ces conseils ; son sénéchal s’en aperçut ; il y avait une heure que le bonhomme pleurait ; et commençant sa harangue avant que d’essuyer ses yeux : « Je pleurais, Sire, dit-il, la mort de mon fils le comte, gentilhomme d’épée, à qui elle n’a de rien servi contre les regards de la princesse ; on le mit hier en terre ; n’en parlons plus ; il est aujourd’hui question du service de Votre Majesté, il faut oublier que je suis père pour me souvenir que je suis sénéchal.